nouvelle édition 2019

JOURNAL D'AL SOLA

Journal

19€

de JEAN PROAL

Ed. Atlande (2019)

Pas plus que Carnet de route (cf. revue n°4) le Journal d’Al Sola n’avait été publié du vivant de l’auteur.
Toutefois, il y est fait mention dans l’ouvrage de Raymond Oursel… Après en avoir eu connaissance grâce à une copie dactylographiée – probablement faite après son décès, par Suzon – découvrant les trois cahiers manuscrits aux pages numérotées par l’auteur, le Journal devint publiable… Le cinquantenaire du décès de l’auteur, 2019, fut un juste concours de circonstances. Dans ces cahiers, à gros ou petits carrés et spirale, Jean Proal écrit sans laisser de marges, tous les jours, de janvier 1962 à mars 1963 – de sa graphie fine et serrée, souvent difficile à lire… Commence donc en 2016 un patient travail de décryptage. (cf. avant-propos l’aventure d’un inédit, Anne-Marie Vidal).

Jean Proal laisse venir au fil des souvenirs qui se présentent, souvent dans un désordre qui l’oblige à y revenir ou à faire des parenthèses, voire (qu’il souligne ironiquement) des parenthèses de parenthèses…

Parmi l’essentiel du propos, son œuvre et une connaissance de lui-même, se glissent des descriptions de paysages, des portraits… et comme une caractérologie de la vie sociale des oiseaux, qu’il photographie de sa chambre.

EXTRAITS

J’ai parfaitement conscience, pendant que j’écrivais ces deux dernières phrases, d’avoir eu trois idées qui me séduisaient, que j’allais noter, et qui sont définitivement parties… On est le nombre de mots qu’on connaît. Bien sûr, c’est pas aussi catégorique que ça – il y a ce qui se passe sur des plans où les sens et la sous-conscience envoient des messages qui n’ont pas besoin d’être “traduits” – mais c’est vrai pour une grande part… Pour peu qu’on soit riche quelle profusion ! (sans parler du risque de confusion). D’ailleurs c’est pas riche, que je voulais dire, c’est gourmand. Que de joies et quelles joies m’auront données les mots ! dans ma vie. Et je crois bien que je le tiens de ma mère. C’étaient des joies que nous partagions comme nous partagions un fruit. Je l’entends encore rire de plaisir parce qu’elle avait trouvé pourquoi on traitait de goujat quelqu’un de maladroit ou que menacer quelqu’un du feu grig était simplement le vouer au feu grégeois. Joies d’un esprit sans détours et d’un cœur pur et c’était le temps où nous riions ensemble.
Je pense aux mots, au verbe. À l’importance du mot écrit, à cette référence continuelle des autres arts à celui de l’écriture (d’une peinture, d’une conférence, de la radio, du cinéma, d’une symphonie et tant d’autres “expressions”) on entend : Et quelle écriture ! jusqu’à la sculpture qui s’écrit dans le ciel ou dans l’espace. Référence assez suspecte, d’ailleurs, car justement ce qui me hante c’est l’impuissance, l’insuffisance de l’écriture…

(Journal d’Al Sola 10 janvier)

 

[…] mes livres passés, les plus oubliés, les plus “épuisés”, les plus radicalement “non lus” ne prendront leur sens et leur portée que lorsque je ne pourrai plus leur ajouter une ligne, un mot, une intention (et je dis leur ajouter, mais je veux dire ajouter à mon “œuvre”) c’est-à-dire lorsque je serai mort. Ici aussi, ici peut-être surtout, intervient le “sculpter le visage de sa mort” de Rilke qui est en réalité sculpter le visage de sa vie. Toute minute de ma vie à venir peut défigurer (transfigurer, aussi : changer le visage) ma vie tout entière. Toute page nouvelle peut modifier, renier même tout ce que j’ai écrit. Et si la dernière pensée consciente, si la dernière phrase, si le visage de la mort, prennent un tel relief c’est qu’à cette seconde (et il faut considérer que c’est la seconde où on ne peut plus mentir ou se tromper), à cette seconde, ils séparent à jamais ou font coïncider pour toujours les deux images (ou les multiples images) : ce que l’on a cru être et ce que l’on était… (18 février)

Carte postale, 1960, envoyée à Suzon, du sanatorium d’Al Sola où il a été soigné pendant presque trois ans ; lieu, situé dans une superbe région des Pyrénées, Montbolo, sur les hauteurs d’Amélie-les-Bains. Au sanatorium s’est substitué un centre de pneumologie.

Al sola - les amis de jean proal

EXTRAITS DE LA POSTFACE

Ce Journal, écrit par Jean Proal sur ce qu’on peut appeler sans exagération son lit de douleur, peut surprendre par bien des aspects les lecteurs qui le découvrent à l’heure de sa publication, soit une soixantaine d’années après le temps de sa rédaction. Surprendre par son humour de la part d’un homme de si précaire santé, sept ans avant son décès prématuré, et alors même que son éthos et le reste de son œuvre ne reflètent pas particulièrement cette facette, pourtant si importante, de son tempérament et de sa tournure d’esprit (“[…] Les gens qui me connaissent mal, c’est-à-dire tout le monde sauf huit ou dix personnes, doivent facilement se tromper, prendre mon air disons sérieux, au comptant, et ne pas comprendre que je plaisante, que je me plaisante beaucoup plus souvent que je n’en ai l’air.” [I, 31], réalise-t-il d’ailleurs). Surprendre par sa progression “à sauts et à gambades”, pour reprendre la célèbre expression de Montaigne, alors même que les romans de Proal, comme ses nouvelles, semblent si rigoureusement structurés. Surprendre par la verdeur fréquente du vocabulaire, la crudité d’une expression populaire venant soudain contraster avec un imparfait du subjonctif. Surprendre enfin par la richesse et l’hétérogénéité ébouriffantes de son contenu.
Mais c’est qu’il s’agit là d’un projet sinon unique…


On trouve d’ailleurs, au fil du Journal d’Al Sola, quelques exhortations plus sérieuses que les boutades d’autodérision déjà citées, qui visent manifestement à trouver le ton juste pour cet exercice de sobre sincérité que le journal doit être à ses yeux : “Attention à ne pas faire des phrases”. “Pas de littérature.”


Notons au passage pour ceux qui s’obstinent, contre toute évidence, à voir en Proal un épigone de Giono, qu’en cela déjà ils divergent diamétralement. Tandis que Proal fait toujours de la sincérité, de la fidélité à une forme de “vérité”, une vertu cardinale, Giono, on le sait, ne peut raconter sans “broder”, “transposer”, inventer, faisant de l’artiste, dès son tout premier roman rédigé – Naissance de l’Odyssée– et plus encore dans ses chroniques romanesques de la maturité, une forme élaborée et prestigieuse du menteur et du manipulateur. Et l’autoportrait de Proal dans le Journal d’Al Sola met au jour d’autres différences de tempérament assez fondamentales entre les deux écrivains qui furent amis dans les années 30.

(Journal d’Al Sola, Postface de Sylvie Vignes)

NOTA BENE

De nombreux témoignages d’adhérents et sympathisants ou lectures nous ont assurés de l’intérêt indubitable de ce Journal. En effet, il offre, outre une meilleure connaissance de l’auteur – indissociablement l’homme – Jean Proal, un remarquable panorama de ce mi-temps du 20e siècle… Certains allant jusqu’à considérer que le Proal, parlant de lui et se confiant, même et toujours en immense pudeur, est encore plus attachant que le romancier.