Des femmes – l’élan et l’obstacle

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Des femmes – l’élan et l’obstacle

Jean Proal : Des femmes – l’élan et l’obstacle

Mercredi 23 mai 2018 à 18h00

Maison des Métiers du Livre
4 avenue de l’Observatoire
04300 Forcalquier
Tél. 06 88 10 70 63
Libre participation aux frais

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L’œuvre de Jean Proal donne aux femmes une place essentielle… Leur élan, mais aussi leur blessure d’enfance et jeunesse – ou leur vulnérabilité – rythment les relations.

Des extraits, choisis et lus par Mireille Sève et Anne-Marie Vidal, vous seront proposés.

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Anne-Marie Vidal & Mireille Sève

Extraits

Jean Proal est un peintre des “malentendus”… Il dévoile la souffrance et acceptation de ce malentendu. Ainsi, Nore dans Les Arnaud, Marie-Louise dans Fontvive, Thérèse dans Thérèse au soir– deux nouvelles de Suite montagnarde– ou encore Hélène dans De sel et de cendre
Je crois bien – mais c’est seulement en écrivant ces mots que je m’en aperçois – que j’ai de suite aimé Jean Proal pour avoir donné corps, en outre en si peu d’images, à l’esseulement de la femme – et par conséquence de l’homme –, à son délaissement, où réduite, en amour, au dévouement et au silence.
Esseulement parce que séparée de soi pour ne pas désaimer celui qui ne sait plus la voir – comme si elle n’avait eu à choisir qu’entre esseulement silencieux du couple où dort l’amour paralysé, ou solitude. Comme si elle avait à se résigner, d’autant que souvent cette dureté de l’homme envers elle n’est que le ricochet de celle de la nature et du destin envers lui – parfois en outre enfant déjà confronté au malheur et invité par l’éducation à s’endurcir. Esseulement qui va de soi, se traduisant par exemple dans la conscience du vide de sa vie pour Thérèse la lisant ‘vie comme les autres’. Aride vie, rythmée par le travail incessant, les circonstances naturelles et sociales, et en outre – peut-être le plus tragique à vivre – les visages familiers exsangues d’amour. Aride sauf l’intense échange avec la nature – sa beauté, sa pureté, même la plus âpre.
Cf. entre les mots ou le souci de l’inaccompli par Anne-Marie Vidal, Jean Proal, Le féminin à l’œuvre, revue n° 12, AAJP 2018
[Extrait de S’arrêter un moment avec Jean Proal, éditions de l’Envol, 1998]

Elle est sûre que son mari n’est pas allé retrouver cette femme blonde. Il n’y a pas de femme blonde.
Égarée, elle a passé la main sur ses yeux, senti ses paupières froides sous ses doigts. C’est une image, rien qu’une image, un mirage qu’elle a formé dans la solitude de sa vie et qui l’accompagne depuis toujours. C’est peut-être tout ce qu’elle n’est pas, tout ce qu’elle n’a pas : la douceur, la gaieté de vivre qu’elle n’a jamais connues…
Chacun de ses gestes évoque celui qui n’est pas là. Elle allume le feu dans la cheminée avec les éclats de tamaris qu’il a préparés. Elle moud rageusement le café qu’il a rapporté du village. Elle puise l’eau à la citerne qu’il a cimentée. Elle se sent désaccordée mais, justement, plus consciente.
Elle s’est endormie tant de fois, raidie de fatigue, sans penser qu’il s’endormait à son côté, sans s’entendre penser qu’il était là…
Elle reste immobile, suspendue au blasphème. Ce n’est pas vrai ! Pas une seconde de ses jours et de ses nuits, dans son travail et dans son sommeil, pas une seconde elle n’a cessé de penser à celui-là qui l’avait choisie et emmenée. Elle sait que chacun de ses gestes, chaque mot et chaque silence, toutes ses peines et toutes ses joies étaient pleins de cet homme, étaient faits de cet homme. Mais elle ne sait pas que c’est cela que l’on appelle l’amour…
Extrait de la nouvelle Sara, in Jean Proal, Le Désert des manades, revue n°7, AAJP 2013

¶ accompagnement pour Sara
Comme Hélène, Catherine incarne un personnage anguleux, à vif, tourmenté, insatisfait, contrastant violemment avec un personnage masculin plus léger, insouciant et solaire, tout en rire triomphant et en “galop blanc”. Contrairement à Hélène, Catherine est mariée avec son “archange rieur”, mais elle n’en est ni plus épanouie ni plus apaisée ; au contraire, même si Benoît ne la quitte, semble-t-il, que pendant “ses dimanches de course”, elle se sent désespérément seule, et le fantasme d’une rivale blonde ne cesse en outre de mettre au supplice celle qui se sent « laide, noire, impuissante et perdue » :
« C’est une image, rien qu’une image, un mirage qu’elle a formé dans la solitude de sa vie et qui l’accompagne depuis toujours. C’est peut-être tout ce qu’elle n’est pas, tout ce qu’elle n’a pas : la douceur, la gaieté de vivre qu’elle n’a jamais connues. »
Sylvie Vignes, cf. Jean Proal, Le Désert des manades, revue n°7, AAJP 2013

Elle est partie avec sa robe de tous les jours, son paquet à la main, tête nue dans le vent, sous les rafales. Il devine le visage luisant de pluie, tendu dans la nuit. C’est à cette fuite que devait aboutir cet élan qu’on devinait dans tout son corps. Elle n’était pas faite pour le calme, la vie tranquille, l’humble vie laborieuse, le bonheur. Le sang de colère ne s’était jamais apaisé en elle, ne pouvait pas s’apaiser.
Tout le drame de la fatalité tourne dans cette chambre close où une lumière brille au chevet d’un lit désert, cette chambre dont le grand vent bat les murs.
Ils n’étaient pas faits pour vivre ensemble. À quoi bon accuser l’un, accuser l’autre ! Rien que le destin. Ils étaient sur la terre, tous les deux, avec leur sang, leur chair et la fatalité mise dans leur sang par cette suite d’inconnus qui sont leur race. Ils se sont rencontrés et le désir, le vieux désir, l’aveuglant désir les a joints et leur a fait oublier qu’il y avait en eux des choses qu’ils ne connaissaient pas. Et puis un caprice aussi gratuit, aussi inconcevable que celui qui les a réunis les a empêchés de se comprendre. Maintenant elle est partie. La chercher ! Partir à sa poursuite !
Cf. Où souffle la lombarde p. 240
[NB : en projet de réédition pour 2018-2019]

Il y avait deux mois bientôt que Jacques et Simone jouaient aux sauvages. Tout de suite après les examens de fin d’année ils avaient quitté Paris. Ils s’étaient mariés aussitôt, au village où Simone avait gardé la petite maison de ses parents et, sac au dos, ils étaient partis pour ce voyage de noces, qui devait être leurs dernières vacances d’étudiants. La vie allait les reprendre bientôt, les prendre. Lui commencerait dès la rentrée à faire de la clientèle, elle terminerait sa dernière année de médecine : la vie était là, juste derrière cette porte de septembre qui allait se refermer sur l’été et sur leur jeunesse. Ils avaient voulu marquer cette fin et ce commencement par des vacances qui ne seraient pas celles de tout le monde.
[…]
Aux premiers jours, aux jours dangereux où on ne connaît pas encore la règle du jeu, le désir était là qui voilait tout de sa brume ardente. Et quand la brume s’est dissipée, quand elle les a laissés nus l’un devant l’autre, leur simplicité de cœur et d’esprit les a sauvés. Lorsque Jacques a pu voir sans désir Simone sortir nue de l’eau, Simone avait déjà appris – fille de fière race libre – à livrer son corps à l’eau et à la lumière. Elle n’était plus une femme déshabillée. Elle était une femme nue sur la terre, et pure comme les arbres penchés sur l’eau. Elle avait dans son corps et dans ses gestes la noblesse ingénue des enfants ou des animaux très jeunes. Lorsque Simone a compris que Jacques ne aurait jamais deviner à l’air du temps le temps qu’il allait faire, ni plier proprement une tente ni, sans doute, mener sa vie par le monde, Jacques savait déjà que toute la vie Simone lui accrocherait au bras le parapluie nécessaire et lui achèterait ses cravates.
Extrait de la nouvelle Vacances, cf. Jean Proal, Le féminin à l’œuvre, revue n° 12 AAJP 2018

¶ accompagnement pour Vacances
Le lecteur retiendra peut-être celui de période ‘en marge du monde’, faux temps mort : un temps de transition, un temps certes dégagé des activités habituelles mais souterrainement travaillé par des forces qui, pour être inconscientes, n’en sont que plus agissantes, et poussent à réagir. Beaucoup de choses sont ainsi suggérées plutôt que dites dans cette riche nouvelle qui en appelle tout particulièrement à la participation des lecteurs. Certains y verront sans doute une parabole de la perte du Paradis par le couple originel. Il est effectivement question d’un couple nu dans ce qui ressemble au matin du monde et d’une sorte de malédiction, et le texte recèle sans nul doute des allusions bibliques : ainsi l’idée du salut gagné par ‘la simplicité du cœur et de l’esprit’ et l’expression ‘le livre’ mise en exergue par l’italique. Ce livre unique n’est toutefois pas la Bible et toute une série de signaux désignent davantage une rêverie sur la Préhistoire de la Terre.
Dans un pli de l’espace-temps, par Sylvie Vignes, cf. Jean Proal, Le féminin à l’œuvre, revue n° 12 AAJP 2018

Elle essaya de s’accrocher. Elle évoqua – comme on serre son manteau sous la bourrasque – la maison tiède, bien fermée, bien couverte, enroulée comme une coquille sous la pluie. Elle pensa à l’étable chaude. Elle vit, entendit, respira les moutons pressés contre la barrière. En pensée, elle entra dans l’écurie, repoussa de la main la jument paisible, se serra contre son épaule, le bras passé sur l’encolure. Elle sentait la chaleur de la bête. Mais ce n’était pas exactement la chaleur qu’elle cherchait. Peut-être si, à ce moment, un chat familier ou un chien était venu à elle… mais il n’y avait pas de chat ni de chien à la maison. Son mari n’en voulait pas.
Elle pensa à son mari. Ni bon ni mauvais. Taciturne un peu. Un homme comme les autres. Elle dit tout haut : “Comme les autres”, et sa voix la surprit comme une voix étrangère. Elle écouta, la tête penchée, puis elle haussa les épaules. Lui non plus ne lui apportait pas ce soir ce qu’elle cherchait. Elle voulut évoquer des fleurs, le soleil, un feuillage d’arbre. Elle les voyait, mais tout cela ne lui était rien. Elle pensa à son travail. Le travail, l’homme, la maison, le monde, tout était dénué de sens, vidé de substance.
Extrait de la nouvelle Thérèse au soir, cf. Jean Proal, Le féminin à l’œuvre, revue n° 12 AAJP 2018

¶ accompagnement pour Thérèse au soir
Somptueuse litanie cosmique et sensuelle où la cabane suggère le gîte amoureux, le raisin volé la transgression, le bras de l’homme qui emprisonne et libère, un bel oxymore du fantasme amoureux. Le lecteur ressent la tension contradictoire de l’élan pulsionnel de Thérèse avec sa quasi immobilité sur sa chaise. Cet élan extraordinaire lui fait d’autant mesurer le vide de sa vie, lui donne ‘honte’. Le rêve se poursuit alors, elle suivrait cet homme, le conditionnel évoque une aventure improbable où l’homme inconnu cristallise tous les possibles. La tension dramatique va culminer dans l’échange des regards, l’impulsion supposée de l’homme. Ses yeux fermés, le balancier de la pendule, ses yeux ouverts, le vagabond qui se détourne. On imagine un long travelling de cinéma…
L’instant des métamorphoses, par Annie Chazal, cf. Jean Proal, Le féminin à l’œuvre, revue n° 12 AAJP 2018