Jean Proal, Anna-Eva Bergman, Hans Hartung : une amitié créatrice

Ce catalogue est un hommage à cette belle rencontre, chaleureuse amitié et création commune.

Même s’ils sont contemporains – Proal et Hartung tous deux nés en 1904, Anna-Eva Bergman en 1907 -, Jean Proal, décédé en 1969 n’a pas pu voir ces livres d’artistes achevés ; Suzon, sa femme, a continué ces projets d’artistes.

Ils seraient certainement heureux que, grâce au soutien de collectivités publiques la présentation de leurs deux ouvrages d’art devienne, outre l’exposition, accessible à tous.
Jean Proal dit être un raconteur d’histoires, de celles qui ont déjà un peu tremblé au vent de poésie. En somme, être celui qui oblige les hommes à descendre en eux, qui les oblige à découvrir au fond d’eux un coin qu’ils n’avaient pas su percevoir, et qui dormait là, inutile. (Carnet de route).

Jean Proal, Anna-Eva Bergman, Hans Hartung – UNE AMITIÉ CRÉATRICE

15 € + frais de port
Format 21×21 / quadri, cousu / 72 pages

catalogue d’exposition

Entre le couple Jean et Suzon Proal et les peintres Anna-Eva Bergman & Hans Hartung, une profonde rencontre a existé. Ce fut une source créatrice.

Chacun, source singulière, féconda ces deux ouvrages, Farandole et L’or de vivre – fruits, imprévisibles au départ, du tissu, selon leur expression, d’unité fraternelle.

EXTRAITS

Pouvais-je deviner que quelque chose déjà était né, qui allait s’appeler amitié ? Nous n’avons pas dû échanger quinze mots, ce soir-là, mais je savais déjà, à une certaine tension d’un silence, à la chaleur d’un mot, au poids d’un regard – cette force tranquille, cette inflexible tendresse – que je venais de rencontrer cette qualité d’homme qui justifie l’humanité.
Jean Proal

feu- une amitié créatrice jean proal

Le miel

J’ai poussé du pied la porte qui s’ouvrait sur la salle de classe. Je me suis approché du bureau de la maîtresse, lentement, doucement, comme si un geste brusque ou un bruit eussent risqué de dissoudre le tendre fantôme.

Derrière la table grossière, mais adoucie par la patine d’un long service, sur la chaise de paille, ma mère continuait une leçon commencée il y a cinquante ans. Très droite, ses cheveux fauves éclairés d’argent fluide, ses yeux gris éclairés d’or mobile, ses douces lèvres entrouvertes, elle scandait à petits coups de règle silencieux, la psalmodie d’une lecture en chœur.
Par la fenêtre ouverte, un gros bourdon noir et jaune vient d’entrer, et la salle de classe s’emplit de la chanson de ses ailes. Le même bourdon qu’autrefois.

Les dix têtes tondues de frais se sont relevées au même moment. Les vingt yeux noirs pétillent de la même malice et, là-haut, sur la table magistrale, la règle a tapé un coup sec. Mais j’ai eu le temps de percevoir un intervalle entre l’irruption du bourdon et le coup de règle. J’ai eu le temps de voir les yeux gris suivre une seconde le vol bruyant de la bête. J’ai vu le tendre regard voleter vers la fenêtre ouverte, vers le jour blond des près. Et j’ai eu le temps de surprendre, posé sur moi, un regard dont je sais maintenant qu’il était un peu complice.

Le bourdon est parti, raide comme une balle, laissant la classe déserte avec ses bancs vides et son bureau silencieux où les taches de l’encre rouge d’autrefois me disent encore porte-plume de bois blanc, la longue main à la peau si fragile qu’elle semblait transparente, la frêle épaule et le doux visage penché.

Oh, pardon !

Un amandier
trois mimosas
quinze pêchers
le rocher blanc
un olivier
colline belle
la tourterelle
sur bleu d’hiver.

 

L’hiver ! Quel hiver ?

– Vous me donneriez
quoi ? dit l’amandier,
si je fleurissais le premier ?
– Une abeille, fit le vent.
– Laissez-moi rire ! dit l’amandier
en ouvrant
sa première fleur,
la première abeille
m’a déjà fait un enfant
d’amandier !

Le mimosa riait jaune
et parlait de se mettre en boules.

– Ça se mêle de pigeonner !
dit la tourterelle
et sa ritournelle
roucoulait dans son balconnet
de tourterelle apprivoisée.
– Tiens ! dit le mimosa
en écartant ses doigts frisés,
les voilà !
– Voulez-vous pêcher avec moi ?
dit le verger au bord de la rivière,
le verger en baissant les yeux,
baissant les yeux
sur ses jambes de cuivre bleu.
Mais cela fit tant de paupières
baissées
que le verger
tout entier
le verger à la rivière
ne fut plus que rose-péché.

La fillette au rocher blanc
suçait à son doigt

la goutte de sang.
– l’ajonc n’est pas le genêt !
voulut dire l’olivier.
– C’est le vent ! dit la fillette.
– C’est le sang ! siffla le vent.
– Justement ! dit la fillette.
– Alors ! dit la mésange
bleue, c’est le temps ?
le temps
de chanter printemps ?
Le printemps ! Quel printemps ?
– Laissez-moi rire ! dit le vent
le vent
du temps
qui n’est pas le printemps.

PÉPITES DE LECTEURS

La réussite du travail de l’édition tient sans doute à cette rencontre en un même livre qui aurait réjoui Jean Proal, car en rendant lisible par tous cette amitié humaine et créatrice, en présentant les trois créateurs ensemble, l’association des Amis de Jean Proal offre plus qu’un hommage, elle exacerbe notre curiosité de cet auteur dont la poésie traverse l’œuvre. Déjà dans ses fictions, la poésie pointait son nez dès qu’il abordait les descriptions, et ce qui fait la force de ses romans vient tout autant de sa capacité à rendre une réalité qu’à vous en éloigner. Et au milieu des portraits souvent durs des hommes et des femmes, la description de la nature vient allumer toujours sa note de mystère et de beauté. La particularité de cet ensemble est sans doute que dans son choix de textes, Jean Proal ait tendu à l’épure pour nous donner à lire cette poésie qui se révèle dans ces morceaux choisis, hors toute fiction, mais bien ancrée dans un réel éprouvé […]. Seuls la nature et les éléments nous rendent libres. La métaphore exacerbée de la tempête (celle de nos vies) répond à l’angoisse, à cette recherche de silence, car au milieu des éléments, Au cœur immobile, dans ce monde entre ciel et terre, « Ici se confondent et se résolvent les incertitudes de deux mondes aussi fluides : une terre travaillée par tous les enfantements marins, un ciel où se rencontrent tous les courants de la terre. Être le cœur nocturne de cela silencieux qui tourne sur son centre ! » (in 1, L’eau)

Marie-Josée Desvignes

RELIURE

À l’occasion de notre exposition en 2013, durant 2 mois, à la Maison des métiers du livre Jean Proal, Anna-Eva Bergman, Hans Hartung – une amitié créatrice, il semblait judicieux d’offrir notre catalogue éponyme, à Vanessa Krolikowski, travaillant aussi à Forcalquier, en lui proposant de lui créer une reliure.

 

Ce fut un bel échange et nous l’avons exposé tout au long de ces 2 mois et souvent lors des rencontres de l’AAJP.