02 Oct S’arrêter un moment…
S’arrêter un moment…
Vendredi 2 et Samedi 3 octobre 2015
Médiathèque Intercommunale François Mitterrand Asse Bléone Verdon
7, rue du Colonel Payan
04000 Digne-les-Bains
www.mediatheque-digne.fr
Cette manifestation littéraire, au gré de lecture de fragments contemplatifs, souhaite vivifier le regard – trop souvent laissé aux oubliettes par la trépidation de nos vies.
‘S’ARRÊTER UN MOMENT…’ expression de Proal qui désirait (à la suite de Conrad) “faire s’arrêter les hommes” et se présentait comme « un raconteur de simples histoires humaines pour faire rêver les hommes… le temps d’un soupir, d’un sourire, d’une larme ».
L’AAJP a depuis longtemps senti le caractère essentiel et profond de ce thème à l’encontre de la posture actuelle du monde d’agitation permanente.
‘S’arrêter un moment…’ ouvre ce chemin d’être à l’écoute attentive, voire attentionnée, de notre espace quotidien. Souhait d’aller vers une acuité de présence au monde, aux autres, à soi – avec Jean Proal mais aussi avec d’autres créateurs.
PROGRAMME
Pour cette première année nous avons choisi d’inviter Marie-Hélène Lafon pour ce qu’elle est attentive à la vie du ‘maintenant’ du ‘minuscule’, d’une vérité incarnée des êtres et de la nature… sa proximité – rapport au temps, aux êtres, rapport à la terre et écriture charnelle – avec l’œuvre de Jean Proal.
Vendredi 2 octobre de 18h30-20h30
– Présentation de l’expression et du projet S’arrêter un moment…
– Constante qui est au cœur de la Poésie
– Lecture de quelques extraits de Philippe Jaccottet, Pierre-Albert Jourdan, Jean-Yves Vallat…
À la rencontre de Jean Proal et Marie-Hélène Lafon
“L’air cru des terres d’enfance” (Marie-Hélène Lafon) / “Une étrange fusion” (Jean Proal)
– Enfance, nature (saisons, arbres etc) incarnée au plein des corps, le temps à l’œuvre, avec portraits de quelques personnages au “silence rugueux” (Marie-Hélène Lafon), “si différents et si proches” (Jean Proal)
– Lectures d’extraits autour de thèmes très présents dans les deux œuvres
¶ Suivi d’un court entretien & échanges avec le public
Samedi 3 octobre de 10h30-12h30
À la rencontre de Jean Proal et Marie-Hélène Lafon
“Une étreinte verbale” (Marie-Hélène Lafon) / “Sans mon pays…” (Jean Proal)
– Leur rapport “corporel” à l’écriture
– L’être “planté” en un lieu… et pourtant et l’un et l’autre refusent d’être lus et considérés comme écrivain de terroir ou régionalistes
– Lectures d’extraits et de divers textes et témoignages dont quelques-uns de la correspondance de Proal
¶ Grand entretien avec Marie-Hélène Lafon et échanges avec le public
¶ Vente de livres par la librairie La Ruelle
Intervenants
Présentation et accompagnement par Anne-Marie Vidal
Lectures interprétées par Marie-Hélène Lafon et Yves Mugler
Un moment avec Jean Proal
D’abord les textes, le goût éperdu, têtu du verbe, et son long travail, cette ténacité, cette nécessité, pour dire les saisons, le vent, les arbres, les choses vertes et immémoriales, des gestes, des hommes, des femmes, pour dire les vies et les embrasser d’un seul geste, les rassembler dans les pages. D’abord ça, sur quoi, dans quoi je tombe quand Anne-Marie Vidal me fait découvrir Jean Proal dont, je l’avoue, je ne connaissais pas même le nom.
Ensuite le velours partagé des heures de Digne, un temps hors du temps et cependant pleinement planté dans le monde parce qu’il y est question du sens à chercher, à inventer ensemble. On n’est pas hors sol dans la Médiathèque de Digne, on n’est pas réfugié, on n’est pas enfui, on n’est pas replié, on se déplie, on se déploie, on n’est jamais hors sol quand on se rassemble autour des livres, des textes portés par la voix, les voix d’Anne-Marie, d’Yves, la mienne ; on est au contraire au coeur des vies, sous la peau, là où le sang bat, là où l’on cherche à exister davantage, au plus large, au plus profond, on est à la source.
Marie-Hélène Lafon
Extraits de témoignages ou de textes
« Les vaches ruminent, moi aussi. » in Album. Ne rien oublier du pays premier qui disparaît, de l’univers du Cantal et de la rivière Santoire, est sa démarche. Et par des courts romans, des descriptions de la réalité paysanne en évoquant les gens, les arbres, les bêtes, les objets, les odeurs, les brumes, les enfances et les choses, Marie-Hélène Lafon dans une écriture dense et superbe, dresse un portrait sans nostalgie, mais irrigué de tendresse, de la pesanteur du monde qui aura effacé le monde rural. «Nous vivons des temps de terrible hâte, de hâte obscène et vulgaire» constate Marie-Hélène Lafon, et elle oppose la lenteur de son écriture, l’intime de ses sentiments. Son écriture précise et poétique à la fois, douce et tranchante, se revendique de l’influence de Pierre Michon, Pierre Bergougnoux, Richard Millet, « son triangle des Bermudes ». Leurs ombres tutélaires planent sur ses mots, aussi celle de Flaubert, celui d’« Un Cœur simple », et de Faulkner, mais l’ombre du Cantal est la plus prégnante.
Les arbres sont. Dans le ciel et contre lui. Épandus, écartelés en dentelles savantes. La terre les porte, ils dessinent sur elle, sur sa peau ancienne, des signes, des architectures; la terre les nourrit, ils puisent et fouillent en elle, enfoncés; ensuite ils sont dans le ciel et contre lui se tendent. Ils s’affolent parfois, quand l’orage d’été les prend, quand les pluies froides de novembre hachent les dernières feuilles cuivrées. Éperdus ils ploient et voudraient s’arracher. Des voix sourdes montent d’eux. Rien ne sera possible. Les arbres demeurent, ils ne désertent pas, ils ne peuvent pas le faire. Ils habitent. Ils ont vocation de patience. L’arbre dressé seul se laisse embrasser de loin, prendre par le regard, il est sur le bord de la route, dans le troisième tournant après la sortie du bourg, ou dans le pré, derrière la grange, à droite. On le connaît par les yeux, de loin. On peut aussi aller jusqu’à lui, marcher, s’approcher, le toucher, s’accoter, et faire avec lui le tour muet de son horizon immobile. Plus qu’une visite, ce serait un rendez-vous, et un hommage rendu, hors les mots. La langue de l’arbre s’invente dans ses mille bouches feuillues. Les chants du monde commencent là. Les écorces sont autant de peaux à parcourir. À voir, à toucher, à sentir. Veinées, diaprées, gaufrées, corsetées de plaques, d’écaillés, creusées de sillons. Elles ont tous les visages. Elles cachent des bêtes plates et des continents engloutis. Elles ont un âge. L’hiver serait la grande saison des arbres. Tout est à venir. Ils bruiront dans la lumière neuve de juin, caressés, traversés. Tout est à venir ; ils attendent, nous attendons, j’attends, au coin d’eux quand le feu craquetant est mis. L’arbre est encore là, en bûches fendues, il fleure doux, se dissipe et monte au ciel en volutes souples, c’est une vocation ultime. In Album Le paysage est un travail, un vaste chantier géologique qui dépasse les forces des personnes. Le paysage est plus grand que moi, plus grand que nous, mes parents ma sœur mon frère les chiens les vaches les autres enfants de l’école les autres adultes les autres vivants, nous tous et nos tracteurs et nos outils et nos voitures et nos fortes maisons de pierre, d’ardoise et de bois. Quand je commence d’être, je suis plantée au milieu de la vallée, au bord du mouillé de la fente, plantée debout comme un arbre, et je sais, je sens, ça s’impose, que tout ce vaste corps du pays souple et couturé, avec la rivière, les prés, les bois, et par-dessus le ciel tiré tendu comme un drap changeant, je sais que tout ça était là avant moi, avant nous, et continuera après moi, après nous. In Traversée
Et son écriture sonne comme des vérités perdues et retrouvées, qui restent à leur place, essentielle. L’écriture de Marie-Hélène Lafon ne ment pas, et veut garder « un ton juste » par-dessus tout. Son écriture lentement ruminée vous saisit, ne vous quitte plus. Elle semble résurgence. Nul misérabilisme, nul attendrissement, seulement une immense empathie et un respect profond qui l’amène à peser soigneusement chacun de ses mots. D’ailleurs ses romans sont lus et appréciés par les gens de son pays, qui disent : « c’est nous, on se reconnaît ». Elle se fait mission de mettre des mots sur le silence des gens. « il pense à des choses à l’abri de sa peau, tranquille, on ne le débusquera pas » In Joseph.
Elle a sa noble devise : « Se tenir et tenir », et chacun de ses livres tient en nous et prend une place considérable. « Je suis là. Je me tiens là, à cette place ; j’essaie de le faire. On continue ; ça continue. » Marie Hélène Lafon est un immense écrivain, elle est là, bien là, et l’émerveillement continue.
Gil Pressnitzer http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/lafon/lafon.html