Ce premier numéro de la revue est considéré par bien des lecteurs non seulement comme une solide introduction à la découverte de l’auteur mais encore comme une invitation au désir d’en lire l’œuvre.
Écrit par Anne-Marie Vidal avec contribution de Paul Peyre.
Tout au long de ce premier n° de revue , au lieu de dévider les évènements biographiques ou bilbio-graphiques, est proposée une réflexion qui entrecroise la vie, l’œuvre et la correspondance de l’auteur et donne ainsi, autant que possible, incarnation à sa voix humaine, à ce que Jean Proal fut et nous a transmis.
10 € + frais de port
Format 12 x 19 / 80 pages
ISSN en cours
édition AAJP – 2007
de JEAN PROAL
Revue n°1 de l’AAJP
Paru en septembre 2007, il s’agit d’une assez abondante présentation de l’auteur, sa vie & son œuvre.
C’est un peu comme le premier fil rouge qui a invité et réuni les membres de l’AAJP…
Malheureusement, de graves ennuis pulmonaires, bien plus que ceux qui avaient déjà fait obstacle à ses actions, vont contrecarrer la réalisation qu’il, soutenu par Suzon, était en droit d’attendre de ses projets en cours. Il est contraint, en 1960, après plusieurs mois de soins chez lui, de faire un séjour en sanatorium d’Al Sola, à Amélie-Les-Bains – qui durera près d’un an et demi.
Au vu de son parcours et de ses témoignages, impossible de ne pas noter que plusieurs fois, alors qu’il est tout près de réussir, un ou des obstacles lui barrent la route – dont surtout celui de la maladie. On peut, ainsi, déjà mesurer que ce subtil mélange entre des circonstances défavorables et un tempérament exigeant et scrupuleux, ardent mais si réservé, ne favorise pas la réussite dans un monde qui déjà dépendait beaucoup des aptitudes au paraître et de l’influence des médias. (p. 23)
Il n’est jamais nécessaire, lorsqu’on lit une œuvre romanesque, d’avoir une carte sous les yeux ou de connaître les lieux où l’action se déroule. Et pourtant, lire Les Misérables avec un plan de Paris sous la main peut quelquefois apporter des précisions utiles, et prolonger une lecture de Sylvie par un voyage du côté d’Ermenonville peut aider à mieux entrer dans l’intimité de Nerval. Cela est évident avec Jean Proal, pour qui le paysage de l’enfance est quelque chose qu’il porte en lui comme on porte en soi le souvenir d’une personne aimée ou des parents disparus. Et prétendre que la montagne bas-alpine est peut-être le personnage principal de ses premières œuvres n’est pas une image rhétorique. (p. 26)
Le lecteur, même novice, remarque d’emblée la place occupée par le lieu et le paysage dans les romans de Jean Proal. Comme si la montagne était plus encore que le héros principal. La montagne – et ce sera aussi vrai pour la Camargue – n’est jamais seulement un environnement ou un décor. La singularité du regard de Jean Proal réside en ce qu’il a su rendre cette interpénétration entre les hommes et le lieu où ils vivent : ils habitent le pays et sont habités par lui. (p. 39)
Il s’agit aussi de communion dans ces profonds et intenses moments de vie, où l’auteur décrit cette sorte de mimétisme entre les sentiments des personnages et les manifestations de la nature, pour traduire le désarroi comme le bonheur. Ainsi, Carmelle, repoussée par Antoine, envahie par « la détresse du ciel et de la terre […] Elle jette un dernier coup d’œil sur la clairière dont l’enchantement vient de se dissoudre […] Il n’y a plus qu’un cercle d’arbres taciturnes autour d’un rond sans mystère. […] Ce soir, la nuit est une pourriture de lumière ». Ainsi encore : « Le vent était pour Hélène, mieux qu’un compagnon, un élément de sa vie. […] Ce besoin de liberté, de liberté par le vide, qu’elle retrouvait jusqu’au fond de sa petite enfance. Il faisait en elle le même travail de dissolution et de nivellement. Il l’emplissait de sa rumeur. » (p. 43).
Proal, donc, veut découvrir la beauté que portent en eux les êtres et les choses de la montagne, même s’il n’y trouve souvent que tristesse, misère et abandon. En cela il y a dans son œuvre quelque chose de la tragédie antique, où le beau émane d’abord de la situation elle-même. Cependant, il faut bien que cette beauté soit dite, avec des phrases, avec des mots. L’auteur aurait pu, à cette fin, choisir la voie naturaliste, celle du roman paysan : on serre la réalité au plus près, et l’on tente de susciter l’émotion en donnant au lecteur l’illusion qu’il a été intégré à un monde qui n’était pas le sien et dont il fait un moment partie. Évidemment ce choix peut donner des œuvres intéressantes, comme celles d’un Pagnol. Mais ce n’est pas la voie que choisit Proal.
Refus de la couleur locale, d’abord. Certes les toponymes sont tous authentiques et ils sont indispensables pour définir le cadre de l’action : la région de Barcelonnette, la Camargue etc. Mais si l’on veut suivre le cheminement d’un personnage dans les hautes terres, si l’on souhaite situer précisément telle ferme ou tel hameau, l’auteur brouille volontairement les cartes. (p. 45-6)
« Elles sont vraiment les femmes de ma vie… »
Pour approfondir cet aspect essentiel dans l’œuvre de Jean Proal, il est souhaitable de mettre l’accent, comme il le fait lui-même en bien des occasions, sur la femme en général et les femmes de ses romans. Un témoignage autobiographique justifie notre choix. Proal, en 1935, confie, après avoir souligné qu’il ne savait pas parler et serait absolument incapable de crier même si sa maison brûlait… (p. 53)
Il ne faut cependant pas oublier que cette incommunicabilité foncière laisse place à la douceur des sentiments, d’amour ou d’amitié. Mieux, malgré le caractère fruste de bien de leurs personnages masculins presque tous les romans traduisent, en un langage saisissant, ces moments où surgit la tendresse, telle une aube émouvante pour le héros ; moments d’ailleurs vécus comme une renaissance.
Un exemple, inattendu vu sa rudesse installée depuis tant d’années, concerne Rabasse qui, suite au désir assouvi, découvre, se demandant, inquiet, ce qui lui arrive. « Ce besoin éperdu de douceur : serait-ce l’amour ! […] Il a besoin – c’est la première fois – d’un peu de chaleur humaine à côté de lui. […] Il ne veut pas ouvrir les yeux, rompre l’enchantement ».
Enfin, rappelons la richesse des images, incarnant l’entremêlement de la nature et de l’homme, pour faire sentir au lecteur le regard sur le paysage et le visage des autres êtres lors des intenses moments d’émotion de tel ou tel personnage. (p. 60)
De là le sentiment qu’il y aurait au-dessus de nous comme un ordre supérieur qui nous dicte notre cheminement et auquel nous nous refusons à nous opposer. Qui sont ces forces supérieures ? Elles incluent la vie des êtres, de la nature et des choses – une sorte de panthéisme – et Jean Proal ne prononce quasiment jamais le nom de Dieu.
Parfois s’exprime une résignation, comme celle de Martha qui vient de perdre son mari, assassiné : « cette femme de rien du tout dans sa robe noire […] et une main qui ébauche un geste pour dire : “ce n’est rien. Ça ne vaut pas la peine d’en parler”. […] Martha a haussé les épaules. “À quoi ça sert maintenant !” elle a l’air de dire. […] Et ses mains refont le même geste d’impuissance : “À quoi bon ! Plus rien à faire” ».
Il y a là un vécu de la fatalité ou du destin : ce n’est pas la faute du meurtrier, mais cela est voulu par quelque chose d’autre ; donc à quoi bon s’y opposer. Mieux, malgré les justes raisons de se rebeller, Martha pardonne : « L’amitié coule du visage de cette femme comme l’huile qui déborde de la jarre […]. Pas l’amitié pour Antoine – il ne faut pas demander le trop difficile – mais pour nous : tous les hommes, qui ne serions pas trop de nous mettre tous ensemble pour seulement nous défendre » (p. 65-6)