Jean Proal a – surtout, comme bien d’autres auteurs, avant d’être accueilli dans une maison d’édition – transmis des nouvelles ou contes à des revues littéraires ou journaux. Les plus actives et connues étaient alors Les Nouvelles Littéraires, Les Lettres Françaises, Le Feu (cf. Jean Proal, bleu de neige, revue n° 5) ou encore autour du thème de la Camargue (cf. Le désert des manades, revue n°7)… Ce nouveau numéro a donné place à d’autres nouvelles que nous ne connaissions pas – la plupart en effet sont absentes du fonds Jean Proal des archives départementale des Alpes de haute Provence.
Ces sept textes, parus entre 1929 et 1955 – dans ‘ Le Domaine’ et autres revues –, viennent enrichir notre connaissance de l’auteur.
En Annexe, deux critiques littéraires de l’époque.
13 € + frais de port
Format 12 x 19 / 96 pages
ISSN 1961-3334 ISBN 978-2-9536954-9-6
édition AAJP, 2015
de JEAN PROAL
Revue n°9 de l’AAJP
Avec, pour chaque texte, les contributions ou ‘accompagnement’ de membres du Comité Lire Jean Proal, Annie Chazal, Anne-Marie Vidal, Sylvie Vignes. Et de Lelia de Casabianca.
Les Illustrations sont extraites des revues d’origine.
« Et puis, un beau matin, te posant au faîte de quelque colline dont le parfum nouveau t’entêtera un peu, tu seras ébloui : une immense nappe de lumière bleue montera à l’horizon, traversée par le soleil levant d’une coulée d’or en fusion.
« Alors, petit oiseau, tu seras arrivé. Tu connaîtras les jours alourdis de soleil où la lumière soûle vibre sur la terre tandis que la mer s’écrase et fume… Tu connaîtras le grésillement des cigales dans les oliviers et il te semblera entendre le brasillement innombrable de l’eau caressée par le vent… Tu connaîtras les pins sombres penchés sur la mer bleue parmi les roches rouges… et la splendeur des couchants noyés de pourpre et d’or et les matins étincelant de toute la jeunesse du monde…
« Et tu verras, tu verras combien la vie te sera plus douce. Chaque jour t’apportera de nouveaux fruits gonflés de soleil et de joie, et les claires nuits scintillantes seront moins terribles à ton âme craintive que tes nuits si lourdes d’inconnu.
« Un jour, tu apercevras, au bord d’une calanque, un mas blotti à l’ombre d’un énorme noyer. Approche-toi, et si, autour de l’inconnu, dans le noyer, tes congénères mènent grand bruit, curieux, tu verras peut-être quelqu’un paraître sur la porte : une femme dont les yeux gris un instant amusés se lèveront vers vous et qui dira sans doute : “Encore une bataille ; quelque étranger qui vient déranger mes moineaux…” et son regard qu’elle voudrait menaçant te cherchera… Alors, si tu volais jusque sur son épaule, si, haussé vers son oreille tu lui disais que c’est son petit qui t’envoie, son petit exilé dans la grande plaine brumeuse… alors, petit oiseau, tu verrais… »
In Nostalgies, ‘Le Domaine’
Une route, entre Lure et Luberon, une route de fin juin que taille l’odeur des acacias fleuris en pleine chair des hauts plateaux. Deux belles croupes qui s’équilibrent sous le rond bleu du ciel ; Lure, le Luberon. Deux bêtes, couchées, qui semblent dormir. Au fond, très haut, très loin, la montagne.
Silence. Le vent du soir commence à caresser la terre du bout frais de sa langue : un souffle de bête qui vient de boire.
La route tordue au flanc de la colline cache sa carcasse sous une laine épaisse de poussière.
Quelque chose est né dans le lointain, vers le Sud, murmure ou musique, un frémissement confus qui pourrait bien être le bruit du ciel qui roule sur la terre.
J’ai senti la terre se gonfler sous mes pieds, et trembler de désir. Puis, de nouveau, le silence, plus attentif. J’ai attendu longtemps, planté au milieu de la route, si longtemps que je n’ai pas pu bouger lorsque le troupeau est arrivé. Si longtemps que je n’avais plus en moi de vie humaine qu’une tiédeur battante au profond de la poitrine.
In Rencontre du berger, ‘Le Domaine’
Il est parti.
L’hiver et le matin exaltent la montagne. La lumière ruisselle sous le ciel brutalement bleu, s’accroche aux arêtes de glace pour rebondir en gerbes d’étincelles, allume sur la neige vierge un brasillement insensé. La terre gueule son innocence.
C’est un matin de commencement, un de ces matins où la terre semble recevoir de nouveau le souffle qui l’a enfantée.
La neige gelée à fond porte bien et Mathieu, la bouche serrée, respirant à petits coups prudents, écoute avec bonheur le sifflement familier de ses raquettes. Au creux de ses reins son fusil pèse de sa présence amie.
Allons, il y a encore de beaux jours pour lui… on le fait rire avec ses poumons gelés… est-ce que c’est pour lui, ça !
In La dernière chasse de Mathieu Barat, ‘Les Nouvelles Littéraires’
Le vol sans moteur – au point où en est sa technique – ne dépend que du vent. Que le vent favorable, butant contre une pente favorable, tienne indéfiniment, et le planeur pourra indéfiniment tenir l’air. Tenir l’air une heure, et ne se poser que si on le veut bien, là sont la merveille et l’exploit. Tenir trente heures, tenir trois mille heures, ne dépend que d’un vent qui tiendrait trente ou trois mille heures. Seule, la résistance humaine…
Alors ? Repousser un peu les limites de cette résistance ! Je veux bien. Mais pourquoi de cette façon ? Il est aussi difficile à un corps humain de se tenir sur la pointe d’un pied pendant soixante heures, ou de jeûner pendant quarante jours… Et pas plus glorieux.
Risquer de se tuer – se tuer, même – pour la griserie de se sentir des ailes et de s’en rendre maître ! D’accord. Si c’est pour voler plus longtemps que le voisin, que l’étranger : voilà la paille qui empêche le beau rêve de sonner clair.
Ce n’est pas à la vie dangereuse que j’en ai…
In Frontières de l’aventure, ‘Les Nouvelles Littéraires’
J’ai repris ma promenade entre les chalets plus vivants, par les ruelles où la vie qui passe a laissé son écume. Et voici que le village s’ouvre à même la montagne, sur la pente où sont venus mourir les derniers rochers éboulés, sur les mélèzes et les frênes, sur la vallée que remplit maintenant le tonnerre sourd de l’eau venue des glaciers, sur les rochers d’un pic dont j’apprendrai le nom tout à l’heure (un nom qui m’importe peu, car il lui suffit d’être masse et élan), sur la neige d’une arête que le soleil vient de toucher.
Le ciel est d’un bleu très pâle, presque laiteux, et qui laisse entendre la pluie prochaine. Les prés perdus au milieu des mélèzes disent l’envol claquant des coqs de bruyères et peut-être que, sur cette vire accrochée aux derniers rochers, balcon suspendu au ras du ciel, un chamois surveille son domaine avant de regagner sa reposée du jour.
In Les cloches d’Évolène, ‘Les Lettres Françaises’