bulletin AAJP 11 - jean proal
Les deux puissantes fibres qui ont nourri l’écriture de l’auteur, côté pays ou nature, sont la montagne (les Alpes et le Ventoux) et la Camargue. D’ailleurs, il les relie sous le sens de “déserts”… Ici sont réunies avec la nouvelle La petite lumière, deux adaptations de son roman De sel et de cendre, paru en 1953 et qui reçut le prix de la Société des Gens De Lettres…

INDÉCISES FRONTIÈRES

12 € + frais de port

Format 12 x 19 / 96 pages
ISSN 1961-3334     ISBN 979-10-95637-03-5
édition AAJP, 2017

de JEAN PROAL

Revue n°11 de l’AAJP

Textes inédit de Jean proal.

 

Illustrations originales de Coline Ortner et quelques photographies de l’album Camargue, paru en 1955 et autres documents (AD 04).

Hélène de Silve est pour Jean Proal un personnage qui lui tient particulièrement à cœur. À tel point que je m’aventurerai à penser qu’elle l’incarne vivement dans sa philosophie de vie et moralement.
En effet, dans ces contrastes étonnants, comme l’évoque ici admirablement Mérédith Le Dez, Hélène de Silve, toujours insaisissable, “aimait ainsi les bêtes, les choses et les gens inutiles, ou un peu déviés de leur sens” (De sel et de cendre p. 44)…
La nouvelle La petite lumière émane du “fonds Suzon Proal” (AD 04). J’ai pu découvrir ce manuscrit, souvent très difficile à déchiffrer, seule création inédite qui fasse partie de ce fond privé – essentiellement composé de lettres, objets, photographies, ouvrages et de la sensible correspondance entre Jean et Suzon.
Là encore, cette nouvelle nous touche. Par ‘le regard et le cœur du petit Marco qui lui donnent essentiellement son unité et son sens’ comme en témoigne subtilement Sylvie Vignes.
(brefs extraits de l’avant propos, Anne-Marie Vidal, p.9-12 )

EXTRAITS

© Proal
maquette préparée par Proal pour « Camargue » (AD 04)

Longue conversation entre l’inspecteur et Hélène où, par approches hésitantes, ils s’aperçoivent qu’ils sont de la même race, qu’ils ont le même goût de l’humain et de l’amitié humaine.

Lecomte suit sa piste (celle de Jourdan puisqu’elle est la plus probable) avec la ténacité d’un chien de chasse, mais en comprenant toutes les raisons de l’homme. S’il est possible de le sauver, d’accepter un doute, il le fera.

Hélène sait déjà que c’est un pas de plus vers le désastre. Elle connaît bien Jourdan. Coupable ou non il est perdu. S’il a fui c’est qu’il est sûr d’être suspecté. Poursuivi, il se défendra. Comme tout le monde a peur de lui, il sera descendu avant d’avoir pu tenter un geste.

Sous leurs yeux il y a un livre : Des Souris et des hommes de Steinbeck. Un livre souvent lu. Une histoire qui a touché Hélène très profondément : cette amitié entre deux hommes, assez forte pour que l’un des deux tue l’autre afin de lui épargner l’impitoyable justice des hommes. C’est encore informulé chez elle, mais elle connaît déjà son chemin : rejoindre Jourdan, l’aider, l’aider par tous les moyens.

La vue du livre, cette histoire qui l’a frappé lui aussi, aide Lecomte à comprendre.

(In p. 41-2)

Plus souvent encore qu’auparavant il s’en vint rôder dans les parages, aussi près que le lui permettait la présence des taureaux. Plusieurs fois, il put voir que le vieux – apercevant son approche – disparaissait dans les roseaux ou s’enfermait à clef dans la tour du phare, et il se demandait comment lui, si petit garçon et si plein de bonne volonté, pouvait arriver à effrayer un vieillard. Plus souvent encore, de très loin, il le surveillait avec sa lorgnette.

Le vieux vaquait alors à ses occupations sans se savoir regardé, et petit à petit, il était né chez l’enfant, pour le vieux du phare, une sorte de silencieuse et inquiète amitié.
Un jour, saisi d’une inquiétude plus précise car il y avait peut-être une semaine qu’il n’avait pas aperçu le vieux, il avait pris soudain la résolution de venir le trouver. Les chevaux dont il avait la garde paissaient tranquillement, tout était calme dans la calme journée d’été. Sans même se demander si son maître ou les gardians pouvaient le voir, il avait dirigé son cheval droit sur la plaine.

Comme toujours il s’était heurté à cette frontière invisible que semblait lui opposer le pays des taureaux et son cheval avait renâclé. Mais il l’avait violemment poussé en avant. Il avait vu parmi les roseaux, les bêtes noires qui s’écartaient lentement et quelques-unes, grattant du sabot et soufflant fort dans la vase avaient été sur le point de le charger – mais il avait franchi sans encombre le cercle magique. Le phare plus proche dressait sa haute tour annelée de noir et de blanc. À son côté la maisonnette du gardien paraissait très basse et toute petite et rien, ni une fumée ni un bruit, ne pouvait laisser supposer qu’elle fût habitée. (In La petite lumière p. 55-6)

Revue AAJP 11

©Coline Orner

EXTRAITS (contributions)

Revue AAJP 11

©Coline Orner

Au-delà de l’endurcissement causé par ses tragédies familiales – décès de sa femme, disparition en mer de ses fils – mais aussi par l’ostracisme et les persécutions dont il a été longtemps victime ensuite, au-delà de ‘l’effrayante misère’, de la malnutrition et de la fièvre des marais qui le défigurent, Marco sait discerner dans le visage du vieil homme quelque chose qui lui rappelle à nouveau son grand-père et fait fondre d’un coup toute sa frayeur, la muant même en une sorte de ‘joie’ ‘insolent[e]’. Il lui faudra malgré tout presque autant de patience et de subtilité pour ‘apprivoiser’ le vieux solitaire qu’il lui en a fallu physiquement pour approcher son refuge. L’aider à remplir sa mission, qui fut celle aussi de son père et de son grand-père, en rallumant la lanterne du phare permet au gardianot de gagner sa confiance. Mais adresser la parole à ‘quelqu’un qui n’a plus parlé depuis longtemps à un être humain’, et l’écouter répondre de ses actes est indiscutablement aussi important et déterminant puisque le vieillard, résolu à attendre la mort depuis qu’il a failli pour la première fois à sa tâche, surmonte petit à petit son épuisement et son abyssal découragement.
Sylvie Vignes (In p. 73-74)

De sel et de cendre est une merveille d’architecture : contre la dissolution de l’existence humaine, sa vanité, qui me paraît le thème majeur du livre, il oppose une construction magistrale et fragile, toute en contradictions.

L’écriture certainement est la seule manière de tenir et de se tenir. C’est pour ma part ainsi que je comprends les textes de Proal, aussi bien les nouvelles et les romans que les écrits biographiques que j’ai lus jusqu’à présent.

Le prologue – le premier chapitre – qui mine de l’intérieur le projet romanesque attendu et la défense de la partie adverse en prêtant ironiquement le flanc à l’attaque, est un fabuleux artifice qui entraîne le lecteur sur une fausse piste, celle du mélodrame social, régionaliste.

Mais derrière cette scène inaugurale, qui démine d’emblée tous les qualificatifs absurdes dont on pourrait affubler l’écrivain Proal, se déploie le roman de la liquidité humaine auquel l’incendie final oppose son implacable cendre. C’est Hélène qui fait corps malgré elle avec l’extérieur, Hélène poreuse au vent, à l’eau, à la souillure, qui incarne cette liquidité, impasse à la fois sensuelle et métaphysique, de l’âme et du corps dont l’on sent toutes les faiblesses (les muscles douloureux et les os rouillés, la fatigue, les menstrues) et tous les appétits, la faim trompée, le désir sexuel, souvent déçu ou inassouvi.
Mérédith Le Dez (In p 79-80)