Le texte de Jean Proal de l’album paru en 1962 aux éditions Marguerat – où l’auteur était directeur de la collection Merveilles de la vie animale – Chasse en montagne (repris du livre Au pays du chamois) est pour l’essentiel une célébration de la Montagne et de la Vie de la nature. C’est à ce titre que le Comité Lire Jean Proal a souhaité le rendre disponible à tous les lecteurs.
Récit aussi lyrique et poétique que descriptif, au diapason de la rude et splendide vie en altitude… Le personnage au cœur de l’aventure est le chamois mais bien d’autres (marmotte, oiseaux…) circulent et se rencontrent parmi la ronde des saisons, les arbres et les fleurs, la lumière et la nuit aussi bien dans la douceur que l’âpreté – de la neige, du ciel ou de la terre… Et bien sûr l’homme, le chasseur !
Mais l’auteur engage à plusieurs reprises une réflexion sur l’humain tenté par l’inhumain, parfois en forme de protestation, témoignant incessamment de son amour de la vie et de son désir d’être à l’écoute des émotions admirant le petit chamois ou l’aube…
15 € + frais de port
Format 12 x 19 / 144 pages
ISSN 978-2-9536954-8-9
édition AAJP, 2014
de JEAN PROAL
Revue n°8 de l’AAJP
Contribution d’Anne-Marie Vidal : avant propos et postface.
En annexe : présentation d’Alpinus par Jean-Paul Zuanon ; deux autres textes ou nouvelles repris d’Au pays du chamois ; et des précisons sur la collection dirigée par Proal aux éditions Marguerat.
Avec 23 photographies de Charles-André Vaucher, reproduites de l’album original.
Lorsque vous franchissez la lisière haute de la forêt, à la limite des pâturages, un sifflement vous arrête : c’est la marmotte de service à l’entrée du domaine qui a signalé votre arrivée et, de proche en proche, l’avertissement se transmet. Vous n’avez rien vu, dans le parterre de fleurs qu’est la haute montagne en été, ou sur les grands rochers qui la parsèment. Mais les marmottes étaient là.
Diligentes, elles engrangent l’herbe qui tapissera leur nid souterrain, tandis que les petits jouent au chaud soleil, comme des chatons patauds et agiles. Au coup de sifflet, tout ce monde a couru vers les trous et le silence s’est fait. Si vous avez plus de patience qu’une marmotte – ce qui m’étonnerait si vous n’êtes pas montagnard – vous pourrez, tout à l’heure, à l’orée de la tanière, revoir la tête camuse, l’œil brillant, la moustache circonspecte du maître du logis. Il y a, à peu près sur le même domaine, la “perdrix blanche”, qui n’est pas une perdrix, mais bien un tétras : le tétras des neiges que les gens savants appellent aussi lagopède ou ptarmigan […]
(Avertissement, p. 11-12)
Je sais, nous savons tous, que sans la sévérité, la dureté sans faiblesse des lois actuelles, sans les parcs et les réserves il n’y aurait plus depuis longtemps de chamois ni de chasse au chamois. Je le sais et je m’en réjouis. Je me réjouis aussi de faire en huit heures, voire en une, le voyage qui demandait huit jours de diligence. Mais suis-je seul à penser que la diligence mieux que l’avion permettait « d’entrer dans le pays », de le comprendre et de l’aimer ! Celui qui m’a appris la montagne et les bêtes est mort, tué par sa passion pour le pays d’en haut. Braconnier, certes, et beaucoup l’auraient tenu pour un vulgaire malfaiteur.Serais-je seul à penser que l’on peut être fier d’avoir été son ami ! C’est lui qui m’a appris qu’il pouvait y avoir plus de joie dans une approche bien menée, dans la poursuite sonnante de chiens bien dirigés – même terminées par une bredouille – que dans l’étalage des tableaux et des trophées les plus prestigieux. Plus de joie et, ce qui importe en définitive, plus d’amour.
(Avertissement, p. 15)
©Charles Vaucher
Le chamois porte beau : solidement planté sur des jambes épaisses bottées de sombre et des sabots fourchus qui sont une merveille d’adaptation à l’habitat ; la poitrine profonde et large raccordée sans défaut aux flancs avalés des coureurs de vitesse ; les reins légèrement arqués; des muscles puissants mais fluides roulant sans heurt sur une charpente solide ; le cou vigoureux, prolongeant sans cassure les lignes puissantes et les surfaces du poitrail et des épaules, doucement infléchi et portant haut la tête harmonieuse ; des yeux d’antilope, de grands yeux de velours sombre pleins de mystère et de naïve douceur, auxquels rien n’échappe ; les narines larges ouvertes des buveurs de vent ; les oreilles bougeuses des bêtes paisibles et craintives; et des cornes dont la courbure est d’une pureté de ligne qui fait rêver.
Tout, dans la bête au repos, concourt à cette impression de royauté, de paisible et majestueux empire sur le domaine familier. Taillé pour la course, le bond, l’escalade, le chamois conserve au repos cet élan dont on sent bien qu’il peut l’emporter à tout instant. Tendu comme un arc, vibrant de puissance disponible, chargé d’influx nerveux, il évoque d’emblée – même immobile – la vitesse.
(Chasse en montagne, I, p. 17)
Février, mars. Mais déjà les jours s’allongent et une douceur a couru dans l’air. De même que l’automne pointait dans la splendeur des jours d’août, de même il y a eu un jour de mars – c’était peut-être un jour où le ciel bas pesait de tout son poids sur la terre morte – où l’espoir s’est réveillé au cœur des bêtes libres. Il a plu une nuit sur la forêt, sur l’alpage, sur les sangles, et cela a suffi pour nier l’hiver.
Chaque jour, maintenant, et chaque jour plus vite et davantage, la neige a commencé à fondre. Chacun des arbres de la forêt s’entoure d’une plaque sombre où l’herbe d’hiver réapparaît et fait place lentement à l’herbe savoureuse des nouveaux temps. Avril. Le premier chant du “titipu” dans le bois. L’alpage qui se découvre. Les bêtes remontent, retrouvent celles qui étaient restées sur les crêtes et qui venaient brouter à l’aube dans les marges de la forêt. Mai. Les jours glorieux qui recommencent. La nourriture chaque jour plus grasse, qui a vite fait de redonner aux muscles leur souplesse et leur force, au sang sa chaleur, qui gonfle le corps tout entier d’une joyeuse frénésie de vivre.
Chaque bouchée est comme une goulée de vie qu’avalerait la jeune bête, cette vie qu’elle dépense, qu’elle gaspille en bonds, en luttes, en courses folles, en escalades forcenées, en glissades téméraires.
(Chasse en montagne, II, p. 33-34)
©Charles Vaucher
En tout temps – même quand la montagne prend son aspect le plus débonnaire, même quand le ciel est le plus clément, même quand la terre entière respire la candeur des commencements du monde – il ne faut pas oublier que cette clémence n’est pas oubli ou pardon ou acceptation, mais ignorance, indifférence totale.
Pour elle, l’homme et le chamois sont de même taille, de même poids. On a voulu voir en chacun d’eux un gibier. Mais la montagne ne chasse pas. Elle se secoue parfois, mais ce n’est pas parce que le pas de l’homme ou de la bête lui chatouille l’échine. Seulement, quand elle s’agite, tout ce qui court sur son dos, tout ce qui vit sur elle ne pèse pas lourd. Devant elle, devant les éléments, hommes et bêtes sont à égalité : égalité dans le néant. C’est la première leçon qu’elle donne à qui veut comprendre. Par définition, par état, la montagne est dangereuse.
(Chasse en montagne, VI, p. 95-96)
Contribution dans l’ouvrage par Anne-Marie Vidal
Le dernier chapitre propose une philosophie – autre forme de conte – de l’homme et de la montagne. Il est sidérant d’audaces, multipliant hypothèses et plaidoyers, questions et interpellations. S’y devine sinon de la colère, de l’indignation qui a dû subjuguer ses lecteurs, ceux d’hier comme d’aujourd’hui […]
Puis, en forme de plaidoyer il fustige les légalistes de la chasse, ces étrangers qui ignorent (c’est là que sa colère se sent) la dure vie, confrontée aux climats extrêmes, de ces paysans du haut pays “qui s’exalte en elle [la montagne] comme elle se réalise en lui”. Accordant que si certes il faut contenir les “fusillots” il faut aussi comprendre que, dans l’effort et le risque, pour son exceptionnelle et si rare “saveur”, le braconnier recueille “le cadeau de la Nature” si peu prodigue à cet égard… car lui, “le chasseur ou braconnier, respecte le gibier”. Le danger, d’ailleurs, sublime l’homme de telle sorte que les petitesses et mesquineries ne résistent pas à une journée en haute montagne. […]
Et Proal rappelle la purification ou “Divaria”, si abondamment louée par Alpinus, pour qui la chasse au chamois n’était que prétexte à vagabondage en altitude. (p. 112-113)