Comme le soulignait son Carnet de route (bulletin n°4), l’écriture lui était depuis son adolescence essentielle…
Entre 1927 et 1929, en contact avec Joseph d’Arbaud (grâce à André de Richaud entre autres), la prestigieuse revue Le Feu (existant depuis 1905) d’Aix-en-Provence publie des textes de Proal – parfois aux côtés de Bosco, de Richaud… Ce sont les premières nouvelles (six au total). Il y a là une écriture qui, au vu des romans à venir, peut étonner le lecteur…
Ainsi, les premiers pas de Jean Proal dans le monde de la publication méritaient d’être réédités.
10 € + frais de port
Format 12 x 19 / 80 pages
ISSN 1961-3334
édition AAJP – 2011
de JEAN PROAL
Revue n°5 de l’AAJP
Contribution de Anne-Marie Vidal
Dessins de Patrick Serena
Décidément, tout se liguait contre lui cette nuit-là ; le bois répandait tous ses sortilèges, comme pour l’empêcher d’aller… Mécontent une seconde, il haussa les épaules ; on se retrouverait.
Peu à peu cependant les pins se clairsemaient ; la vie nocturne, loin des fourrés protecteurs, devenait moins dense et moins sollicitée de toutes parts, la pensée de Maral s’alentit au rythme de son pas. Il traversa la pépinière, un petit champ aux allées bien droites avec ses futurs géants bien alignés en rangs d’oignons et une vague pitié le prit pour ces arbres domestiqués par l’homme ; quelques pins élargirent leur panache sur le ciel et, brusquement, il se trouva en pleine lumière.
Il était arrivé. D’un coup d’œil sur sa droite il vit la ferme ; une fenêtre éclairée mettait un rectangle rouge dans la façade “illunée”.
(Une nuit, p. 14)
J’ai tiré de ma poche une lettre et, penché sur le fragile chiffon que la flamme teinte de rose, j’égrène à nouveau les tendresses que me chante à travers l’espace la grande écriture aimée, comme on laisse fondre sur sa langue en les pressant un peu contre le palais les grains dorés de quelque grappe alourdie par le soleil. Les mots gonflés d’amour coulent en moi comme une source chaude ; et tandis que mes yeux errent, sans les voir, sur les flammes bougeuses, je sens le regard du vieux fixé sur moi – les bouffées qu’il tirait tout à l’heure de sa pipe à larges intervalles égaux, se sont précipitées ; sa respiration est presque haletante. Je le sens énervé, agité.
(Au-dessus de la ville, p. 20)
Que peut-on bien pouvoir dire à quelqu’un qu’il va falloir épouser ? J’aurai bien le temps… après.
Elle sourit de plus en plus… ça c’est le comble, et ma tête qui est vide, vide, avec des bouts de phrases stupides qui zigzaguent dans du gris…
Tant pis, je vais lui répondre avec son vocabulaire et, malgré mes lèvres trop sèches qui tirent sur mes dents, les paupières violemment serrées pour ne plus voir, je mets toute ma volonté, toute ma rage, dans mon plus immense, mon plus héroïque, mon plus stupide sourire.
(Résurgences, p. 29)
Mes parents ? Car il faut bien que je vous parle d’eux, pour commencer : des paysans, des paysans de la montagne dans la plus rigide acception du mot ; deux êtres qui ont passé toute leur vie à travailler comme des bœufs et qui sont morts à la peine ; levés au jour, couchés avec le jour, toute leur vie, ils ont disputé à la forêt ce coin de terre que je laisse retourner à la nature car je n’ai pas leur foi.
Toute leur vie ils ont économisé, sordidement, héroïquement, liard par liard, pour que leur enfant ait la vie moins dure, pour qu’il ne reste pas attaché à cette terre si marâtre et qu’ils n’aimaient pas. J’ai passé là les premières années de mon enfance. Mon père qui ne savait pas lire avait la folie de l’instruction… La Grande Chose, comme il l’appelait… la seule qui pût me tirer de ses travaux forcés. Je passais l’hiver au village voisin chez une de ses sœurs, pour pouvoir aller à l’école.
(Un homme, p. 39)
bleu-de-neige-© dessin de Patrick-Serena
Je foule la neige craquante, les yeux fous, avec un grand, un grand soleil bourdonnant dans ma poitrine pour avoir su retrouver l’émotion de mon enfance, éblouie par la montagne. Dans la voiture, Claude attend, impatiente, que ma soudaine lubie prenne fin.
Mais mon cœur élargi retrouve enfin l’ambiance trop oubliée et s’attache aux mille enchantements de mon pays enfin retrouvé : les grands sapins aux lourdes branches ployantes, la fine dentelle des mélèzes sur le ciel pur, le mystère obscur des sous-bois, la candeur éclatante des champs de neige vierge. À côté de la route un talus se dresse, la tentation me prend, impérieuse, de me baigner dans cette blancheur : un besoin fou de me laver, de me purifier au contact de cette neige de mes douze ans.
(Bleu de neige, p. 49)
Les petits, arrachés à leur contemplation, se bousculent devant la grande porte cloutée de noir ; des filles solides comme des hommes, sous leur robe aux couleurs crues, passent gravement.
Une vieille en bonnet de tulle tuyauté et large fichu de laine noire, toute courbée vers la terre ; quelques hommes, des vieux surtout, portant sur leur visage volontaire de lutteurs une grave sérénité.
Et, puis, très regardée, sournoisement détaillée, derrière tous les volets mi-clos, l’Étrangère ; la première estivante de la saison, une originale dit-on, qui passe son temps à courir la campagne avec une boîte de couleurs et a loué la petite maison blanche qui est, au bout du village, comme un éperon dans la verdure.
(Le jeu cruel, p. 55)
Le Feu