Le roman Bagarres est adapté au cinéma en 1948 par Henri Calef, scénario d’André Beucler, avec Maria Casarès, etc. Deux œuvres ici restituées au fil des échos de la correspondance et de la Presse.
15 € + frais de port
Format 12 x 19 / 144 pages
ISSN 1961-3334 ISBN 979-10-95637-01-1
édition AAJP, 2016
de JEAN PROAL
Revue n°10 de l’AAJP
Contributions de Annie Chazal, Fanny Dechanet-Platz, Yves Mugler, Anne-Marie Vidal, Sylvie Vignes.
Des aléas d’une édition
“À se pencher sur la correspondance et les divers témoignages de l’auteur, on découvre que l’histoire de l’écriture de cet ouvrage est assez longue – s’y entremêlent un grand nombre de doutes et une farouche volonté de l’auteur quant à sa parution. Là aussi, là encore, comme notamment pour Les Arnaud, il y eut plusieurs temps d’écriture et de réécriture. Situons-en l’essentiel – en ayant en mémoire les dates de sa parution (fin 1945), et du film (mi 1948). N’oublions pas que Proal habite le Ventoux, à Malaucène où se situe le roman (même si le nom de ce lieu n’est jamais mentionné), de 1934 à 1942.
Dans le fonds Jean Proal des archives (AD 04) il n’y a pas de manuscrit initial, seulement plusieurs versions du tapuscrit (le premier daté de 1938-39, il était alors encore à Malaucène) parfois avec des corrections manuscrites. Il avait d’abord intitulé son roman ‘C’est l’amour qui a tout sauvé’ comme le prouve l’illustration jointe. Ce titre était profondément symbolique de sa vie et son œuvre, quand on sait la place essentielle qu’il a donnée à l’amour ou à l’amitié.”
Cf. Introduction p 7
Des lettres
“Votre livre est bien davantage qu’un roman, et c’est un écrit véritable. Ce qui m’a le plus frappé c’est que vous êtes arrivé (ce qui est rare) à rejeter le paysage et le décor, à n’en pas écraser les hommes, à mettre le fond à sa vraie place et les êtres non plus devant des bois ou des monts, mais à la fois parmi et au-dessus.
J’avais aimé Où souffle la Lombarde, mais je me demandais, justement, si vous étiez arrivé à composer exactement avec l’exigence de la région. Parce que je crois qu’il faut refuser les sollicitations, et même la magie d’un Ventoux. S’en servir sans trop lui donner. Donc Bagarres me plaît pour son importance humaine. Ce ne sont pas des personnages mais des êtres : Avoir réussi à mouvoir Carmelle alors qu’il était facile de la camper, c’est d’un grand écrivain. J’espère que ce livre, où la violence ne s’exprime heureusement pas par des mots, vous imposera. Et puis, encore, vous avez un style, une écriture, solide et souple, il y a des os. C’est rare.”
Jean Alexis de Néret, Cf. p 17
“Pour ce soir, laissez-moi seulement vous affirmer que l’un des moments les plus heureux de ma vie aura été celui de notre rencontre. Avoir trouvé une homme de votre qualité est un présent qu’il me faut saluer, comme on le fait des grandes âmes et des grands esprits.”
Henri Calef, Cf. p 63
©Coline Orner
Des articles de Presse
“Pour qu’il accepte la proposition d’Henri Calef, l’adaptateur a vu dans le roman de Jean Proal une atmosphère et des personnages susceptibles de faire un bon film. Il connait bien les contraintes de l’adaptation pour en avoir déjà réalisées et pour l’avoir subie avec son propre roman. Il sait que la transposition de la page à l’écran est subjective et infidèle en raison même de la différence entre littérature et cinéma. Un romancier peut prendre son temps, un réalisateur travaille au chronomètre. Un roman se construit seul, un film en équipe, un texte suggère des images silencieuses et éveille l’imaginaire du lecteur, un film impose au spectateur des plans dans un décor sonore. Le scénariste et le réalisateur sont contraints de créer une vision personnelle de leur lecture en concevant une œuvre nouvelle inspirée d’un texte.”
Roland Beucler, Cf. p 86
« Rabasse se découvre au lendemain de la nuit avec Carmelle, dans cette ‘paix tremblante’. Il est autre que cet être dur et insensible qu’il s’est forgé par amertume et vengeance contre son père, lorsqu’il découvre, ‘éperdu de douceur’, en dépit de cet indigne marché, l’amour. Il tente en vain de nier le sentiment auquel il a soudain accès en s’accusant de sénilité ; mais il craint et fuit le regard de Carmelle qui le rejetterait ‘à son rang de maître qu’on hait et qui paie’. Il rêve que ‘peut-être le commencement d’une amitié’. Le désir de posséder – lui qui n’aime ni la terre ni vraiment l’argent – et l’orgueil le tiennent prisonnier. Il admire Carmelle ‘elle est de sa race’, ‘adversaire à sa hauteur’ ; en retour, elle a pour lui un ‘mépris bienveillant’ (67). Ce travail de conscience ‘expose’ plus le personnage : plus perturbant que la description de son dur passé, au début du roman. Peu avant sa mort, qu’il voit venir, Rabasse, dévoré par son impuissance, prend, de manière aiguë et tragique, conscience de ce qui l’a perdu. Touchant à ses ‘sources profondes la lucidité lui est revenue’ ; il mesure ‘l’horreur’ de son orgueil et de ‘sa richesse’, responsables de ‘sa solitude’ et qu’il donnerait ‘tout pour un peu de tendresse’ (D 89-90 ; S 92-93). Ainsi, cet homme est plus attachant qu’il n’y paraît – ce que bien des critiques du film n’ont pas su voir. »
Anne-Marie Vidal, Cf. p 48
“On a pu reprocher au cinéaste le choix de Maria Casarès pour incarner Carmelle, au motif qu’elle fait star et non pas paysanne, et qu’elle est ‘trop bien coiffée pour une servante’. Pourtant sa robuste silhouette, revêtue de modestes gilets, de jupes épaisses et de vestes amples n’est vraiment déplacée ni dans la cuisine de Rabasse, ni dans les scènes de chasse à travers les fourrés. Et la beauté extrême de son célèbre regard, mise en valeur par le choix des plans et la qualité de l’image filmique, justifie le scénario : il s’agit tout de même d’une sauvageonne de presque trente ans qui va, dans les années 40, supplanter toutes les jeunesses mieux nées de sa région, et être aimée – ou au moins violemment désirée – par Angelin, Rabasse, Antoine, Gino et Giuseppe, si ce n’est par Jacques, que sa perversité cuirasse. Comme le remarque Raymond Barkan, ‘Maria Casarès séduit par la justesse de son jeu et l’originalité de sa personnalité physique’. Son jeu de tragédienne a pu paraître décalé ou ‘compassé’, à certains spectateurs du xxie siècle, au moment de la sortie du dvd, mais il me semble indéniable qu’il reste puissamment en mémoire, sans doute parce qu’il colle en fait parfaitement avec un film qui n’est pas, contrairement à ce que s’obstinent à répéter journalistes et commentateurs, ‘un drame paysan’, mais bien une tragédie à portée universelle. On peut regretter de manière générale que cette étiquette de ‘drame paysan’, récusée pourtant avec énergie et insistance par Proal et Calef, ainsi que la question du réalisme posée à l’œuvre d’art de la manière la plus ridiculement étriquée, viennent à ce point appauvrir un grand nombre d’articles et de questions posées à Calef ou à Proal lors d’entretiens, comme le montre ce numéro de la Revue. Que serait le glorieux contraire d’un ‘drame paysan’ ; une comédie germanopratine ? Pourquoi faut-il justifier le choix d’un cadre rural et de décors naturels comme s’il relevait a priori d’une vue courte et annonçait à coup sûr un travail de mimesis tâcheronne ? Ni Proal ni Calef ne sont de serviles copieurs.”
Sylvie Vignes, Cf. p 97
“ [ …] L’écriture de Jean Proal n’est pas seulement photographique ou cinématographique. Elle est également scénaristique en ce sens qu’elle se rapproche de celle du théâtre par les nombreuses didascalies que l’on trouve dans toute son œuvre. Ces instructions données par l’auteur dramatique aux acteurs sur la manière d’interpréter leur rôle, se présentent chez Jean Proal comme des indications données au lecteur sur la manière de comprendre la profondeur de ses personnages, le sens de l’histoire, pour figurer leur intime vérité dans son imaginaire. De ce point de vue, on comprend mieux l’intérêt que l’auteur a toujours porté au théâtre et au cinéma, car il est avant tout un auteur qui voit, comme il le rapporte dans son Carnet de route : ‘Parfois, je sens encore cette montée lente, de ce que je suis obligé d’appeler l’inspiration, faute d’un autre mot. Cette lucidité qui fait, qui faisait que je prenais ma plume. À ces moments-là c’est comme un rideau qui se lève, le jour qui naît. On est perdu dans le bois, dans la nuit, il ne s’est rien passé et tout d’un coup on voit que les arbres se dessinent sur le ciel. Puis les branches… puis les couleurs viennent lentement, puis c’est le jour – et on y voit. À ces moments-là tout est clair, précis, vrai, d’une vérité dépouillée, stricte mais pas pauvre, pas froide. Une vérité de vie, riche et pleine.’ ”
Yves Mugler, Cf. p 111