Réédition Les Arnaud chez Le naturographe Editions - AAJP

Couverture, le naturographe éditions, 2024

éditions le naturographe - AAJP

Les Arnaud

Réédition

Parution en 2024,                                      

22 € TTC

Réédition (et avec aide de l’AAJP) par le naturographe éditions, suivi d’une postface de Fanny Déchanet-Platz Les Arnaud ou la vie escarpée.

Ce roman dit la relation charnelle, viscérale, exclusive, que l’homme voue à sa terre. Il dit le courage qui, autant que l’espoir, est chevillé au cœur et au corps. Il rend palpable cette solitude tenace qui ne se partage pas, quand bien même on le voudrait.

D’une écriture tout en pudeur et pourtant de bout en bout poignante – comme ses personnages – ce récit, au rythme de la ronde des saisons et au cœur de la vie en montagne, tisse une double et rude bataille, contre l’artificialité du progrès et pour l’accession à une certaine sérénité dans « ce règne insolent de la neige et du froid ».

 

Présentation

Pour enrichir ou compléter la page consacrée à ce roman et peut-être confirmer l’importance de lui redonner vie reprenons ici quelques informations, échos et témoignages à la source et autour de cette œuvre que Jean Proal a toujours considéré comme, sinon son chef-d’œuvre ou sa préférée, celle qui l’incarnait le mieux (lui et ses propres sources). Ainsi disait notre revue Les Arnaud, le livre d’un doux sauvage, revue n°2, parue en 2008. « L’écrivain […], sa principale activité : être une sorte de membrane sensible pour rendre les sentiments, les pulsations, les désirs qu’il peut percevoir dans un espace limité. » (J-MG Le Clézio, entretiens pour “Empreintes”, avril 2008)

Quelques extraits de la Revue n°2

Les Arnaud, version 1929

C’est une véritable aventure que celle de la parution de ce roman – le plus célébré des ouvrages de Jean Proal. Et peut-être, il en émane encore quelque chose à sa lecture, en particulier dans le choc qui en résulte ?

En 1929, au gré des échanges avec Jean Giono et Maria Borrély on mesure l’intérêt porté à ce roman (dont d’ailleurs nous n’avons pas trace de cette 1ère mouture). Maria, dans sa lettre, évoque une soirée à marquer d’une pierre blanchel’émotion nous a étreints, avec son mari Ernest, continuant : Les Arnaud ne donnent pas l’impression d’une œuvre de jeune. C’est quelque chose de fort, de rude…

À Giono, Proal soulignait « le fond, qui me tient au cœur […] l’histoire très simple de la fin d’une vie inconciliable avec l’auto et la TSF – une famille et un village qui meurent faute de savoir s’adapter ».

« L’écrivain […], sa principale activité : être une sorte de membrane sensible pour rendre les sentiments, les pulsations, les désirs qu’il peut percevoir dans un espace limité. » (J-MG Le Clézio, entretiens pour “Empreintes”, avril 2008)

Réédition Les Arnaud chez Le naturographe Editions - AAJP

quatrième de couverture, le naturographe éditions, 2024

Les Arnaud, la version éditée en 1941 puis en 1946

C’est à cette occasion que la correspondance entre Proal et son éditeur depuis 1931 (alors Robert Denoël) est la plus abondante et explicite :

J.P écrit « Les Arnaud, c’est pour la montagne ce que Maria Chapdelaine est pour le Grand-Nord. Croyez-moi : vous êtes un homme de la plaine, un homme du Nord ; peut-être, ne sentez-vous pas tout ce qu’il y a là-dedans. Il y a dans ce livre toute la montagne, un pays qui est en train de disparaître ou tout au moins de se transformer. Et mon livre est un témoignage. » R. D. répond : « c’est un grand livre d’une magnifique tenue, solide, vivant dans toutes ses parties, harmonieux et dont le tragique même est naturel. Je crois comme vous au très grand succès et je vais m’y employer dès la rentrée, avec toutes les ressources dont je puis disposer. Je me réjouis d’avoir su vous faire attendre si longuement, puisque vous avez maintenant accompli votre dessein. Tout ici me plaît, me touche. Nous sommes dans la grandeur d’un bout à l’autre du livre. » J. P. lui répond : « Ce qui me touche le plus dans cette lettre (mis à part sa gentillesse et ses compliments trop beaux pour être entièrement mérités) c’est votre joie personnelle que je devine sincère. Et cette joie multiplie la mienne. Vous m’aviez accueilli alors que vous en étiez presque encore à vos débuts et que je n’étais qu’un inconnu. »

Puis Proal, ne marchant pas dans la supercherie, propose ! cette lettre ironique :

– « Lettre aux Critiques en guise de “Prière d’Insérer”. Quelques jours avant la sortie du livre, l’auteur reçoit de l’éditeur un mot affolé : envoyez-moi vite un topo pour la “prière d’insérer”. Et le pauvre auteur se met au travail, congestionné, suant, mélangeant, dosant, un coup d’encensoir par ci, un coup de plumeau par là, une pensée profonde plus loin, le tout relevé de quelques pointes de modestie. Et vous recevez le bouquin avec son petit papier jaune, rose ou vert. De deux choses l’une, alors, Critique mon confrère – car j’ai fait votre métier et nous savons tous qui écrit le petit papier en question, comment et pourquoi : ou vous avez la flemme d’ouvrir le livre et – une politesse en vaut une autre – vous envoyez la Prière au journal qui vous donne l’hospitalité, pensant avec raison qu’il serait surprenant que l’auteur ait abîmé son œuvre… Ou vous la chiffonnez sans la lire, préférant vous faire une opinion bien à vous. Dans un cas comme dans l’autre, je tiens la “Prière d’Insérer” pour dénuée de tout intérêt. Ce que j’ai voulu faire, ce que j’ai voulu mettre dans mon livre, ce que je ne suis pas ou ce que je veux être, ne compte pas. Les origines, les considérants, les aboutissants n’ont aucune valeur. Ce qui compte ce sont les quelques 300 pages du livre qui est devant vous. Il y a quelques quinze ans que je travaille à ce livre. Tout ce que j’ai cru devoir y mettre y est. C’est sur ces 300 pages que je demande à être jugé et non pas sur ce que je n’ai pas écrit entre les lignes de ces 300 pages ».

– Lecture de Marie Mauron

Selon le désir de Denoël le livre est envoyé en 1939 à Marie Mauron – et ce sera d’ailleurs le début d’une longue amitié. Elle lui écrit :

« Votre roman est magnifique, je vais vous écrire longuement tout le bien que j’en pense ». Fin avril elle lui envoie une très longue lettre. Elle résume d’abord ce qu’elle a écrit à D. : roman « si bien senti, écrit, composé, si puissant et si direct », ajoutant qu’elle veut qu’il soit plus qu’édité mais “chauffé à blanc”, et allant au-devant des objections à propos de Giono, « il y aurait eu Les Arnaud et Proal même si Giono n’avait pas existé […] D. ne doit pas s’arrêter à ces rapprochements hâtifs de la mauvaise critique » […] « la montagne y est plus grande d’être vraie. La “peur panique” de Giono a une beauté, mais fausse, artificielle. C’est la peur devant cette grandeur minérale, insensible, et aveugle, et indifférente (à nous les adjectifs !) qui est beaucoup plus authentique. Elle se greffe en nous, quand on lit votre livre, sur de si vrais et si vieux sentiments, sur un tel fond conscient ou inconscient que nous adhérons beaucoup plus aux Arnaud qu’aux bergers qui jouent les mystères au milieu du pelage animal des Basses-Alpes. Votre vieil Arnaud est magnifique. Il est vrai en restant si puissamment artistique, comme les portraits de Cézanne ».

Et Plusieurs longues lettres insistent sur le fait que si Les Arnaud méritent le Goncourt, il ne faut pas « y perdre son temps et son talent » car c’est “un monde de combinards”. Bref, elle exhorte JP de ne pas sacrifier aux normes commerciales et surtout en être meurtri au cas où le prix lui échapperait. […] Enfin, en 1949, elle fait partager “la joie révélatrice” à Lucien Henry, dit Lulu pour ses amis – de « ces Arnaud que j’ai relu tout aujourd’hui [qui] me bouleversent comme toujours ». (D. est aussi l’éditeur de M. Mauron)

– Des lecteurs

Des inconnus, auteurs, amis, et son ancien professeur de littérature envoient des lettres à Proal ou par le canal de son éditeur.

En novembre 1941, chacun des deux neveux de Proal, Françoise et Jean-Claude, jeunes enfants, lui envoie, au verso de leur lettre, un émouvant dessin, sur feuille de cahier d’écolier, représentant le village des Arnaud, avec la montagne les prés et les arbres. Ce village, digne de celui, imaginaire du roman, est bien perché avec maisons rassemblées et la route, croqué à partir du récit de leur maman et situé “entre Gimette et Siolane”.

Surtout, son ancien professeur de Première, Mr de Saint-Denis :

« Une indication bibliographique m’a donné l’idée de commander “Les Arnaud”. Après avoir lu les premières pages, j’ai retrouvé mon Jean Proal, mon élève de 1ère C au lycée de Digne en 1921-22. Beaucoup de romanciers n’aiment guère à se souvenir de leurs études et de leurs maîtres de rhétorique ; certains même affichent pour les unes et les autres assez de mépris. Vos propres sentiments ? je les ignore… Mais j’ai retrouvé avec tant de plaisir la manière délicate et souvent originale de l’un des mes premiers élèves ! J’ai retrouvé aussi l’amour instinctif et farouche de la montagne qui m’avait frappé chez la plupart de mes petits Dignois ! » Proal lui répond : JP lui répondra une longue lettre dont voici quelques brefs passages : « Cher Monsieur-mon-Professeur-de-Première, Le métier d’écrire est un foutu métier, mais il a de bien beaux côtés… par exemple celui de recevoir – grâce à la publicité – une carte de quelqu’un à qui on pense souvent et qu’on se reproche d’avoir négligé. […] Vous nous apportiez, entre nos vieux professeurs, un peu d’air de la jeune Université, une science souriante, une façon admirablement désinvolte de défaire de leurs bandelettes les grands classiques. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est vous qui m’avez donné le goût d’écrire – ce goût-là, on naît avec – mais vous l’avez cultivé et je vous en ai gardé, au long des années, une reconnaissance émue. […] J’ai beaucoup travaillé, je me suis battu et débattu pas mal d’années avec le dur métier de raconteur d’histoires, avec eux qui ne veulent pas les écouter. Je crois qu’avec ce livre, j’arrive à un tournant de ma vie : la consécration de mon métier d’écrivain, car, à peine sorti, il a l’air de partir pour une belle carrière. Et voilà. Si vous avez gardé un peu d’amitié pour “l’ange Proalien” qui en a beaucoup pour vous, écrivez-lui de temps en temps. Oubliez que vous ètes Professeur de Faculté (ce dont en passant je vous fais mes compliments), oubliez ces vingt ans et ce qu’ils ont fait de nous, et acceptez une poignée de mains aussi cordiale, aussi affectueuse, que celle que nous nous sommes donnée, à votre départ de Digne… il y a vingt ans ».

Marie Gasquet : « Je viens de lire Les Arnaud pour la 3e fois et mon émerveillement ne fait que grandir… – il est temps que je vous le dise et vous remercie (vous “féliciter” serait ridicule) pour celle belle joie. Le livre m’est arrivé à la mi-décembre, portant dans sa dédicace le nom de Marie Mauron et, comme je le lui ai écrit, j’ai voulu laisser passer les corvées de Noël et de jour de l’an avant de l’ouvrir. J’en ai commencé la lecture dans le gel doré d’un jour d’hiver où le soleil avait toutes ses exigences. Que vous dirais-je ? sinon que, dès les premières pages, j’ai été saisie, emportée, triturée dans la tenaille de la montagne et que plus rien de moi ne m’a appartenu que le coup de poing reçu dans la poitrine que nous vaut la découverte d’un chef d’œuvre. Cette meurtrissure, si j’ose dire, il m’a fallu l’assimiler. J’ai laissé “bouillir” mon admiration après quoi je l’ai décantée pour en savoir le goût. Je suis partie dans l’ombre de Maître Arnaud, mettant chacun de mes pas dans les siens. J’ai écouté battre son cœur, sommer son pic, suivi la direction de son regard et souffert avec lui – ô combien ! – de son impossibilité de se traduire à Nore et au petit. Avec quelle prodigieuse délicatesse vous avez tout dit en ne faisant que l’effleurer… de l’impénétrabilité dont le mystère lie peut-être autant qu’il sépare. Avec vous j’ai voulu épuiser les saisons, voir le printemps, revoir l’arrivée de la neige… »

– La réédition de 1946

Marie Mauron, évoquant l’assassinat de Denoël, lui en parle à nouveau :

« Les Arnaud que j’ai relu, ce livre qui nous a liés, c’est un bien grand livre et ce n’est pas de t’aimer qui me le fait croire. J’ai tout relu, avec des yeux nouveaux, c’est là une rude épreuve quand même pour un bouquin, et bien c’est un très beau bouquin… ».

Roland Dorgelès, alors contacté en vue du prix Goncourt : « j’ai conservé un souvenir très vif des Arnaud et vais m’empresser de lire Bagarres ».

Une lectrice : « je ne résiste pas au plaisir de vous dire toute l’émotion profonde qu’il m’a donnée, car fille de la terre, d’une terre moins âpre cependant que la vôtre, j’ai toujours ressenti cet attachement au sol. Déjà Montagne aux solitudes m’avait révélé ce drame paysan, sensuel et terrien. »

Enfin, en septembre 1957, ce profond témoignage d’un ami manadier : « De tout ce que j’ai lu de vous, rien ne m’a laissé une impression aussi profonde que cette histoire “d’un monde et d’un temps perdus”, nous montrant le farouche et impossible combat de ce terrien contre la montagne et contre les hommes. Son orgueil blessé par la Civilisation qui est montée jusqu’à son repaire, son désir de se survivre à travers son fils, la mort lente de sa femme, dont il ne réalise qu’il est fautif qu’alors que tout est perdu, tout cela m’a non seulement ému mais bouleversé. J’y ai retrouvé, malgré la différence de lieu et de forme de sa lutte, le thème de notre entêtement camarguais, qui nous pousse à vouloir maintenir, contre vents et marées, une chose condamnée à la fois par l’évolution, et par les hommes du siècle présent. L’opiniâtreté âpre de Firmin est sublime en elle-même, quoiqu’elle le rende parfois odieux si on se place au point de vue de la vie actuelle. Vous avez étudié et disséqué ce caractère avec une maestria qui dénote chez vous un observateur implacable et profond. Dussé-je vous décevoir, je vous dirai que montagnard vous-même vous êtes là dans votre élément, bien plus que dans votre ouvrage camarguais De sel et de cendre. Ce dernier m’avait simplement intéressé, tandis que Les Arnaud m’a passionné, au point de découvrir dans le comportement de votre attachant personnage, la source même de mes propres sentiments et les erreurs de mon intransigeance. La route et l’amour sont en effet les 2 pôles d’attraction qui, en haute montagne comme ici chez nous, éloignent les jeunes de la vie traditionnelle. Et contre cela il n’y a rien à faire qu’à se mettre à l’unisson ou, si l’on n’y peut parvenir, à fermer les yeux sur le rêve impossible d’autrefois. Car, vous avez raison, il s’agit bien d’un lieu et d’un temps à jamais révolus.

J’ai fermé votre livre sur une sensation d’infinie mélancolie… c’est une belle œuvre qui me permet de mieux vous connaître et surtout de vous comprendre ».

– Un critique remarquable

Léon Derey, fidèle lecteur tout au long de la vie de l’auteur, fut incontestablement son critique le plus profond :

« Ainsi un roman qui valait d’abord par sa tension, sa virilité et son rythme, est fait, en même temps que d’une réalité concrète, charnelle, rigoureuse, de la sincérité d’un juste, de l’amour qui remplit un cœur et, en vérité, d’une suite de modifications psychologiques autour d’un champ, d’un berceau et d’un fils… Il semble dès lors, dans cette œuvre, que tout l’univers participe à la formation de l’humain au secret de chacun de nous, et que l’homme soit fait, de par la volonté du monde, pour être un jour, dans sa solitude et son silence, la conscience qui manque encore à l’univers et l’accomplissement de l’unité par lui pensée et retrouvée… Jean Proal, lui, s’efface simplement derrière ce qu’il a connu, derrière Firmin Arnaud, qui est cultivé. Avec lui, tout est dans l’intuition, l’accent, la substance humaine du drame, beaucoup plus que dans le sujet. Il indique sobrement les cheminements de l’homme vers son deuil, sa propre noblesse, il reste le témoin, mais qui sait écouter entend les battements d’un cœur, mais l’acte (ou le mot) dit la progression, découvre la grandeur nouvelle… Chez Jean Proal, tout est tension, virilité et rythme ; et l’écrivain n’est vivant qu’en son héros. La rigueur de dessin et la sécheresse du trait ? N’est-ce pas affaire de nature ou de matière ? Comment ne pas admettre que Jean Proal fidèle à son pays, à la vérité de son pays ou à celle du souvenir ne pouvant accepter de fausser « ce qui n’avait pas – au début du siècle – changé d’une ligne depuis le Moyen-Âge », se défie de lui-même, et en vient à vouloir, sagement du reste, le plus dépouillé et le plus exact ? ».

– Mots de l’auteur

Enfin, ces mots très intenses de l’auteur, in Les Nouvelles Littéraires, 08/09/1955 :

« Sans mon pays, je ne serais rien. Mais quel est mon pays ? Montagne ? Provence ? Les deux, sans doute que réunit et résume cette “marche” (frange et degré) de Haute-Provence où je suis né et où j’ai pris conscience de mes richesses et de mes limites. Goût de la lumière, du dépouillement et du silence. Sens du tragique. Violence intérieure et retenue d’expression. Avidité de vivre et sens de la fatalité. Besoin de joie et goût de l’amertume. Paralysante pudeur. Obstination qui touche à l’entêtement. Bonté vite effarouchée. Orgueilleuse humilité.. J’allais essayer de faire le départ, de dire : ceci est du provençal et cela du montagnard. Mais je m’aperçois que ces défauts et ces qualités définissent aussi bien l’un que l’autre et que, ma province, c’est la lumière méridionale »

NB : Pour compléter vous pouvez acquérir cette revue à l’AAJP