Chasse en montagne de Jean Proal

CHASSE EN MONTAGNE

Photographies de Charles-A. Vaucher

de JEAN PROAL

Ed. Marguerat (1962)

Quand Proal parle de la chasse il semble en décourager les aficionados… et surtout il donne toutes les chances à l’animal – notamment le chamois qu’il a placé au centre de son texte souvent poétique. Proal écrivait : »Il m’en coûte d’abandonner ici le ton fervent et le vocabulaire affectif qui sont venus d’emblée sous ma plume. Délaisser le mode lyrique, fuir les effusions, brider la fantaisie, refouler les souvenirs qui se lèvent par troupe, repousser les évocations – bruits, odeurs, spectacles – que chaque mot suscite, réprimer le frémissement que chaque image fait naître, tout cela est une rude tâche pour un amoureux. J’ai dit amour. Mais j’ai dit connaissance […] (ce texte de Au pays du chamois est repris dans la Revue n° 8) Il s’agit d’une réflexion critique des habitudes et d’une protestation contre les prédateurs afin d’y substituer un éloge de la solitude et de l’harmonie, une célébration de la beauté de l’animal – et surtout tel un leitmotiv d’un témoignage de son amour de la montagne…

Ce texte comme le souligne l’auteur dès l’avertissement est le reprise de l’essentiel de Au pays du chamois (sauf la partie technique scientifique).

 

Notre Revue n°8 le réédite et comme il devait être plus abondant (144 pages), nous y avons inclus 2 autres textes de l’auteur présents dans Au pays du chamois et plusieurs photographies de Charles-André Vaucher de l’album paru chez Marguerat en 1962.

EXTRAITS

Qui a vu une harde ou quelque solitaire lancé au galop à la pente dans un éboulis de rocs instables, qui les a vus, engagés dans une cheminée, se hisser des ongles et des reins, qui les a vus franchir une dalle inclinée et lisse comme une glace accrochée au-dessus d’un à-pic, qui les a vus arrêtés net dans leur élan au bord d’un abîme, celui-là ne peut plus oublier le frémissement d’angoisse qui l’a saisi et son admiration stupéfaite.  Celui-là a vu se jouer sous ses yeux le spectacle parfait, cette œuvre d’art où chaque détail est indispensable à la réussite, à la plénitude de l’ensemble. Celui-là a compris les sabots et les reins du chamois et la largeur de ses naseaux et la profondeur de sa gorge et que la montagne n’en exigeait pas moins pour assurer sa survie.

(p. 19)

 

Maintenant le printemps est en marche et monte de la vallée comme une marée. La forêt, au-dessous de l’alpage, s’est éclairée sous la lumière plus chaude et dégagée des ombres livides de l’hiver. Elle s’éclaircit sous la montée de la sève et déjà des chants d’oiseaux montent du bois à l’aube ou au crépuscule. Quelques avalanches tardives roulent encore, faisant gronder le ciel, mais les pluies de printemps plus avides que le plus chaud soleil dévorent la neige et font fumer la montagne tout entière.

(p. 23)

 

N’oubliez pas que vous êtes dans le pays du silence. Un silence qui est la voix même de la montagne, une voix que vous avez appris à déchiffrer : le bourdonnement du vent dans la forêt lointaine, le murmure monotone des ruisseaux, le bruissement des insectes, peut-être la vibration de l’air : une sorte de frémissement cosmique qui est la vie profonde de la terre sous le ciel. Sur cette trame, le moindre bruit, le moindre accident sonore, viendra se dessiner avec une netteté qu’explique seule l’infinie pureté de l’air. Il faut apprendre à reconnaître ces bruits. Ce n’est pas toujours très commode. Il faut éliminer ceux qui peuvent venir de la vallée et qui vous arrivent comme s’ils étaient tout proches. Il faut savoir que la montagne vit, qu’elle est en perpétuel mouvement, un mouvement infiniment lent – avec parfois de terrifiants paroxysmes – mais le plus souvent insensible. Lentement, à longueur de millénaires, la montagne se détruit elle-même, se nivelle. La neige, la pluie, le vent, aident à cette destruction, mais aussi la moindre différence de température. Un gravier infime se détache et roule et libère une minuscule avalanche de poussière…

(p.81-82)

Aigrette © Charles A. Vaucher

J’ai essayé dans les pages qui précèdent comme en beaucoup de mes livres, de dire ce que la chasse est pour moi, son importance et ses vertus, ce que je lui dois, l’inépuisable richesse de sensations, de réflexions et de sentiments qu’elle m’a apportée, la part qu’elle a prise dans la méditation d’une vie déjà longue et, peut-être, dans la sagesse elle-même qui m’a conduit à l’abandonner. (p 50)Mon plus beau lièvre est à coup sûr celui, immanquable, devant qui j’ai relevé mon fusil parce que c’était aux dernières minutes d’une journée de fermeture ; parce que, si je ne le tuais pas, cette seule seconde allait lui ouvrir des jours et des semaine et des mois de vie possible : toute une éternité où chaque seconde serait pleine du sentiment de vivre libre sur la terre.

Tant de fois j’ai relevé mon arme parce que la bête était trop belle, ou trop confiante ou trop fatiguée Parce que la matinée était trop pure, la rosée trop brillante, le vent trop doux dans les arbres, les fayards d’un rouge trop somptueux. Parce qu’un oiseau chantait. Parce que je rêvais. Parce que…
Si c’est être chasseur que d’avoir, vissé dans le ventre, cette passion de la chasse : le goût, le besoin de connaître les bêtes et, par quelque moyen, de le vaincre, alors je suis chasseur.
Mais les plus beaux coups de fusil que je connaisse sont ceux qui n’ont pas tué les bêtes, les bêtes vivantes, les bêtes libres que vous allez trouver derrière ces pages.

(p. 52 fin du texte de Proal avant les photographies)

Avocette © Charles A. Vaucher

LETTRES & CRITIQUES

Il est annoncé à Proal par un des auteurs de la collection, Émile Benech, qu’il y eut une émission radio et un article dans la revue Naturalia sur les 3 albums déjà parus (06/04/63)

 

De même, un article dans les Nouvelles Littéraires et un autre prévu dans la revue Réalités… (Mme Arnoux 12/12/62)

 

Beaucoup de correspondants – auteurs, animateurs de revues ou amis – remercient pour l’envoi de cet ouvrage et soulignent avec insistance la qualité, “livre d’art” disent-ils, de la collection.

Dont Édouard Peisson (qui est auteur lui-même et fera partie avec Bosco du jury du prix de Provence attribué en 1961 à Proal) qui lui écrit « magnifique album, arrivé comme un cadeau de Noël » (26/12/62)

 

« …je me délectais à l’avance, pas été déçu […] discrétion du commentaire qui laisse à l’image sa puissance évocatrice et la relance à point nommé ; j’ai admiré votre organisation ».
Pierre-Paul Naveau, son médecin du sanatorium de Al Sola (06/01/63)

 

Ch. Vaucher spécifiant que les soucis de santé de sa femme l’ont empêché de réagir à la sortie de Chasse en montagne : « grand succès avec échos et éloges… Presse… Je relis vos pages bien souvent, les médite et les comprends comme vous avez si bien aimé les montagnards ». Signalant 2 articles de la Presse de Genève, de Maurice Zermatten du 08/01/63

 

Marcel Couturier (cité par Proal dans Au pays du chamois comme source des descriptions scientifiques du chamois), écrivant à l’auteur : « [ce que] j’ai le plus aimé dans vos trop courtes pages, 49-56 […] les vérités profondes […]. J’ai réveillé ma femme une nuit pour les lui lire ; admiration & vœux ». (20/01/63)

Au matin du monde et du temps © J. Dapra

D’accord pour publier Chasse en montagne très beau et surtout très proalien.

Gérard Cathala

J’apprends [là] que le Médéric avait un modèle dans le réel, et dans l’intimité de Proal… Tout à fait d’accord avec ce choix qui m’a fait découvrir des bêtes de chez moi que je ne connaissais même pas (l’accenteur alpin), retrouver le fascinant personnage du braconnier, infiniment subtil car à la fois chasseur et bête traquée, et déguster un morceau de prose effectivement très “proalien” .

Sylvie Vignes

Nouvelles parutions

Revue n°8 AAJP, 2014