30 Mai Lettre ouverte à Jean Proal
LETTRE OUVERTE POUR SALUER JEAN PROAL
Cher Jean Proal,
à ta* mémoire – vive pour certains d’entre nous – ou pour mémoire
(* je me permets le tutoiement, sans familiarité cependant, au nom de la vieille et fidèle amitié – ce tissu ou cette transaction secrète qui au-delà de la mort (surtout pour une œuvre) relie les êtres et nourrit les âmes…)
Perplexe, choquée, déçue voire scandalisée, attristée, etc…
Comment le dire, comment te dire ?
Surtout, plus gravement, profondément navrée qu’ENCORE UNE FOIS ILS T’AIENT OUBLIÉ.
Oublié de la liste des auteurs honorés dans la ville de Digne, préfecture des Alpes de haute-provence, alors que fut choisi d’inscrire leurs noms devant la Médiathèque dans la pérennité de la pierre – alors qu’y sont présents de bien plus inconnus et secondaires !
Je ne sais qui sont ceux que je nomme ‘Ils’, qui est responsable de cet injuste oubli. Sans doute un ou des personnes dans l’ignorance, la négligence voire encore plus.
Toi qui es, avec Maria Borrély, le plus à même d’avoir la reconnaissance de Digne.
Puisqu’en effet : tu as été élève à Gassendi (alors lycée et collège) où tu as été surveillant après ton cycle d’études secondaires ; tu y as habité, adulte, lors de quelques années de travail ; tu y es souvent revenu ; tu as donné une large place à Digne dans ton œuvre…
De plus, en 1972, la Société scientifique et littéraire publiait ton Journal ce Carnet de route jamais paru de ton vivant. En 1991, il y eut une assez importante manifestation culturelle – en présence de Suzon – avec exposition du Bibliobus, conférences etc à l’occasion de la réédition de ton roman le plus connu Les Arnaud et la parution de l’ouvrage Jean Proal de Raymond Oursel.
Depuis des années, 1993, tu y fus réédité – surtout par mes soins.
Ton œuvre est à Digne pourtant très présente – notamment dans les deux grandes bibliothèques, départementale et municipale. Encore plus abondamment aux Archives où, de ton vivant, tu avais transmis le manuscrit De sel et de cendre ; geste prolongé par Suzon puis tes neveux qui ont fait don de ce formidable patrimoine – ce fonds de tous les documents liés à ton œuvre, avec ta correspondance et ton travail, édité ou inédit… À cet égard, je me souviens à nouveau de ce mot de Fanny Déchanet, qui, jeune universitaire y travaillant avec moi en vue d’une journée d’étude à Grenoble s’était écrié « ils ne savent pas la richesse dont ils disposent ».
Elle et moi mais encore bien d’autres nous le savons et l’avons fait connaître dans les plus grands respect et estime.
Depuis 2007, ton nom est fort présent, grâce à un travail commun avec la Fondation Hartung-Bergman lors d’expositions de Farandole et L’or de vivre. En 2011, une journée et exposition à l’université de Grenoble concrétisée en 2013 par un ouvrage avec contribution de 6 universitaires et la présentation de la riche abondance de tes archives avec un recueil de lettres de toi ou à toi, Jean Proal, créateur d’humanité…
Depuis des années l’association des Amis de Jean Proal œuvre sans compter – en bonne entente avec ta famille – par des lectures, des expositions et des publications annuelles… pour inviter à aller dans tes pas et à partager le bonheur de ton écriture.
En dépit des habitudes institutionnelles, réitérées, de ne retenir que les noms plus prestigieux et plus certains de succès assurés (d’autant plus assurés qu’auteurs déjà bien connus), je reçois, et nous recevons, constamment des témoignages d’admiration et de remerciement de lecteurs pour leur avoir fait découvrir la saisissante expression de vie et d’humanité incarnée dans tes ouvrages et dans ta correspondance.
C’est pourquoi il y a quelques années, au vu des fruits de l’écho des lecteurs, fut substitué à l’expression “Jean Proal injustement oublié” celle de “Jean Proal, sauvé des eaux de l’oubli”. Bon ! ‘sauvé’ sans doute pour beaucoup oui, mais pas pour les médias ou les personnels des institutions semble-t-il…
Chose étrange, car au même moment des universitaires et étudiants du Tennessee, Université Vanderbilt Beaux-Arts Gallery, – eux qui n’avaient guère l’occasion de côtoyer ton œuvre – ont choisi Farandole et ton nom avec celui de Hartung pour leur ensemble d’expositions lors de leur programme culturel intitulé “à l’ombre de l’histoire”.
Eh oui, tu seras bientôt plus connu au Tennessee qu’ici ! Oui, il y aurait de quoi sourire.
En fin de compte, il y a de quoi avoir honte pour la grossièreté, l’inélégance tout du moins, de ceux qui (ces ‘Ils’) ont oublié ton nom… et honte aussi pour le peu de respect envers ta famille qui a généreusement transmis.
D’autant que tu fus reconnu par tant de créateurs remarquables (Max Jacob, Delteil, Cendrars, Aragon, Rostand, et même Giono dès tes 25 ans – je n’en cite volontairement que fort peu mais il y en a bien plus).
Oui, je suis – laissant de côté le reste qui pourrait être de l’ordre de la colère (à qui par gentillesse envers notre tristesse il nous fut répondu en humour ‘eh bien au moins on ne lui marchera pas dessus’, ou ‘il ne fera pas le trottoir’) – chagrinée que décidément ton nom soit comme condamné à ne pas être retenu.
Quelle absurdité de devoir penser que l’injustice, se répétant ainsi, fasse ta singularité d’auteur (pas le seul certes mais un des noms à ce point oublié parmi bien d’autres œuvres que je lis fidèlement) ? Je ne comprends pas…
Et ne serait-ce pas aussi un manque total de respect envers l’association présente dans le département dont pourtant le travail est reconnu. Là encore, je ne comprends pas…
Je sais que tu étais dans une vive lucidité envers tout cela ; et une sagesse – surtout à la fin de ta vie. Et je sais que tu étais le contraire d’un auteur et d’un être séducteur ou séduisant – tout du moins volontairement ; que tu détestais rien tant que la facilité et superficialité et que les vraies valeurs seulement te préoccupaient…
Alors – même si une telle erreur reste grave – un peu comme si je voulais te consoler (peut-être aussi nous consoler, ta famille, et nous, les amis de ton œuvre à l’AAJP) je veux te dire en témoignage :
Saches que plusieurs, écrivains ou lecteurs, ont mis leur voix au service de ton œuvre (Fanny Déchanet, Sylvie Vignes, François Longchamp etc)… et singulièrement et fidèlement qu’une voix – celle de Yves Mugler – tout au diapason sobre et lumineux de ton écriture, porte et transmet ton œuvre, notamment lors de lectures régulières ou mensuelles, depuis quelques années.
Saches, enfin, que le plus essentiel est que tant d’auditeurs et de visiteurs nous disent leur émotion, leur étonnement, leur bonheur… lors des rencontres et lectures. Ils soulignent en ajoutant leur sentiment, au vu du silence envers ton œuvre, qu’il y a envers toi une injustice…
C’est sans doute le même sentiment que celui qui me fait être (encore en dépit de mon âge avancé) depuis plus de 20 ans au service de ton écriture, afin de ranimer les braises – et ainsi auprès de beaucoup de tes lecteurs (et même quelques, c’est rare certes mais cela est, gioniens) tu es parfaitement reconnu comme écrivain singulier et à part entière, ‘créateur d’humanité’ comme disait ce subtil critique, et ton ami, Léon Derey.
PS : Cette lettre, tel un témoignage de reconnaissance envers ce que ton œuvre nous apporte, car en dépit de ce qui aurait pu décourager nous avons persévéré.
Personnellement il m’a été nécessaire de la laisser s’écrire – elle m’habitait depuis longtemps mais s’est imposée lors de cette nouvelle injustice – afin en outre de remercier ceux qui depuis des années ou depuis peu œuvrent “pour saluer Proal”.
Le 24 mai 2014, Anne-Marie Vidal
Pour information
NB très important : suite à l’envoi de cette lettre, décision fut prise par Madame la maire de Digne de réparer cet oubli en faisant inscrire le nom à l’entrée de la Médiathèque, et de nous donner un RV avec elle pour envisager une action culturelle annuelle avec la ville de Digne.
17/07/2014