DE SEL ET DE CENDRE
Par Daniel ARSAND
Pierre-Julien Brunet est un lecteur attentif et convaincu de la grande qualité de l’écriture de Jean Proal. Auteur lui-même, il a transmis De sel et de cendre (dont il est le préfacier) à Daniel Arsand (écrivain français né en 1950, ancien éditeur spécialisé dans la littérature étrangère)*.
Après en avoir eu l’autorisation nous vous donnons l’occasion de partager cette lecture particulièrement fine et pertinente.
NB : Depuis cette mi-août j’ai, selon son souhait de découvrir d’autres textes, transmis quelques ouvrages et revues à Daniel Arsand. Nous continuons à échanger des messages autour de Jean Proal ou de son œuvre personnelle (notamment son dernier livre qui vient de paraître). AMV
*pour plus d’informations : http://www.m-e-l.fr/daniel-arsand,ec,1194
Message de Daniel Arsand à Pierre-Julien Brunet
dimanche 14 aout 2022
J’ai donc lu hier et ce matin – c’est le premier de la pile – De sel et de cendre. J’en sors juste, si tant est que j’en suis sorti. En premier je tiens à vous remercier de m’avoir fait découvrir cet auteur et cet ouvrage. Le roman est un chef-d’œuvre. Du très haut-vol. De la très haute intransigeance. Et on ressent une joie dans cette intransigeance. Il y a offrande de l’auteur à la littérature, à ce qu’elle exige, et à ses lecteurs à venir, mais cela vient après l’étreinte avec l’écrit.
Il y a dans ce livre une densité granitique sans cesse menaçant de s’effriter, et s’effritant parfois, soudain, parce que passent une douleur, du passé, une joie, un éblouissement ancien ou neuf, un orgueil mortel et qui est bastion et chant, mais le chant chez Proal se confond avec le silence, une tendresse, une main tendue, une main retirée, un abandon rêvé et impossible à vivre. C’est un grand livre du silence, et du vrai silence, cuisant, tourmenté, écrasant, furieux, antique, sans retour. Grand livre brutal.
Et tous les couples qui se forment, se reforment autrement, l’une avec un autre, une
autre avec l’un, sont d’une rare puissance intérieure. Bien entendu le plus spectaculaire, le plus pur, le plus coriace, le plus proche de la joie, de l’accueil à la fin, c’est celui formé par Hélène et Lecomte. Rare comment le métaphysique épouse aussi étroitement le charnel. Il y a rencontre, comme avec une puissance ancienne, et faite de présent aussi. Grand livre sur la reconnaissance de l’autre. Et la lucidité que tel autre aussi ne peut être l’Autre *. Se laisser voir et s’offrir en quelque sorte.
Il y a du Bernanos, mais sans dieu. Peut-être est-on plus proche du superbe Malicroix de Bosco, auteur plus du tout lu, mais qui le fut jadis et bien plus que Proal. Il y a la Provence, il y a la Camargue, mais Bosco, et peut-être plus encore Proal en font un paysage intérieur, où l’humain, l’animal et le végétal ne font qu’un, et en cela c’est en relation avec l’antiquité, c’en est une trace, une littérature qui est trace de l’enfoui et d’un visible dans lequel se perdre et vivre. Proal va plus loin que Bosco, peut-être, dans l’observation du chaos intérieur, de la peur, des peurs enserrant corps, esprit et cœur, sans doute parce que chez lui, comme chez Bosco, il n’y a pas ces séparation et opposition trop bien dessinées et continues du/entre le bien et le mal. Il y a tout de même une forme de mystique dans le fait que les mots soient là pour dire l’informulable, s’en approcher, et qu’importe si y parvenir est illusion.
J’aime dans ce texte le lyrisme sans effet (la luxuriance chez Giono vieillit ses textes, certains). Tout pèse et tout est envol. Une écriture sûre et en inquiétude. Et toute cette violence exprimée, sondée, et qui est un enchaînement d’impasses et d’aurores (qui ne débouchent pas forcément sur la lumière, ou par brèves visions).
Daniel ARSAND
* je désigne dans cette phrase la relation d’Hélène et Michel, ou plutôt ce que sait au fond d’elle même Hélène, quant à leurs relations, et à ce que représente Michel pour elle.