la_quete_de_lou-livret_AAJP

Sur son souhait, Jean Proal offre à Lucien Jacques, un texte original – brève nouvelle ou petit conte – fidèle, mais avec des accents différents, à Histoire de Lou. Ce dernier roman après parution dans France-Illustration en 1950, puis une adaptation radiophonique par Pierre Loiselet en 1953, sera publié en 1956 par Gallimard dans la prestigieuse collection de la Bibliothèque Blanche. Sa singularité fut, au cœur de l’œuvre de l’auteur, souvent soulignée…

La quête de Lou, version bien plus brève, est un conte – aux accents philosophiques voire écologiques. S’y tisse une ambiance toute en douceur et mystère.

LA QUÊTE DE LOU

12 € + frais de port
Format 14 x 14 / papier rare
© édition AAJP – 2012

de JEAN PROAL

Feuillet n°2 de l’AAJP

Ce conte est paru en août 1955 dans le n° 27 des Cahiers de l’Artisan, la revue de Lucien Jacques. Lucien Jacques de treize ans son aîné, peintre mais aussi écrivain fut le passeur et soutien de Giono… mais aussi celui avec lequel (souvent aux côtés de Lucien Henry, dit ‘Lulu’) Jean Proal tissa une sensible amitié.

Illustré par Patrick Serena

 

Joli ‘livret’ (collection 14×14), imprimé en bleu, sur beau papier sensation linear 120 gr., par Philippe Moreau, Archétype, 2012

EXTRAITS

 

L’enfant et le grand loup jaune avaient maintenant dépassé la zone des alpages et venaient de pénétrer dans ce monde immobile du haut pays où l’eau elle-même ne peut subsister qu’à l’état solide.

Il y avait autour d’eux un silence fait, semblait-il, de la même matière que le rocher, et aussi dur. Un bourdonnement sourd montait de la vallée, donnant l’échelle de ce silence et le creusant davantage. Et c’était comme le frémissement de cette vie qu’ils venaient d’abandonner. (p. 3)

L’enfant mesura de l’œil – au-dessus de lui et en regardant un peu sur la droite – la pente qui le séparait encore de ce trait de métal en fusion qui soudait le ciel à la montagne. Il était maintenant recru de fatigue, une fatigue morne qui rendait chacun de ses muscles à la fois dur comme du bois et douloureux comme une blessure. Il n’avait pas mangé depuis longtemps et il sentait son estomac, au milieu de son corps, comme une autre blessure. Il sentait en même temps sa peau brûlée de soleil, et son corps glacé par le froid inhumain de l’altitude. Mais le plus atroce fut de s’apercevoir qu’il ne croyait plus à l’utilité de sa quête. Ni même à sa réalité. Alors, avec un sourire malheureux et têtu, il commença à monter. (p. 6)

© Patrick Serena

© Patrick Serena

Le paysage blanc et noir, réduit à des surfaces élémentaires et à quelques génératrices rigides, pur jeu de l’esprit, ne suscitait aucune sensation. La blancheur éclatante que recomposait le scintillement des cristaux de neige niait toute couleur de façon aussi péremptoire que le noir sans issue du ciel. Toute odeur était proprement impensable. Et le silence lui-même atteignait cette intensité que nul organe n’est plus capable de percevoir. L’enfant secoua la tête, pour se prouver qu’il n’était pas réduit à un concept métaphysique d’enfant et fit la seule chose qui restait concevable : il se mit à suivre la trace profondément creusée dans la neige. Elle conduisit, par-delà la croupe qui tournait lentement sous ses pas, vers un petit cirque enneigé, ouvert en pleine face nord sur un gouffre que la brume abolissait. (p. 9)
Il regarda, en dessous, les deux bêtes, pour savoir si elles ne se moquaient pas de lui. Mais les chamois n’avaient visiblement pas envie de rire. Ils le considéraient gravement, avec une attention précise et lente qui aurait pu ressembler à de la pitié, si le mot – comme d’ailleurs le sentiment – avait pu prendre ici la moindre apparence de réalité. Mais il n’y avait rien derrière leur regard. Il n’y avait que ce regard, large ouvert, et minutieux. Petit Lou sentit qu’ils cherchaient sur lui les stigmates dont l’avaient marqué sa longue course et le mauvais passage de rochers. Il sentit qu’ils pesaient et mesuraient ses jambes écorchées […] (p. 11)

© Patrick Serena

– Vivre ! dit la chèvre.

– La pauvreté ! dit le chamois.
– Oui, dit Petit Lou en louchant sur la fourrure luisante des deux bêtes.
– Vivre ! répéta la chèvre.
– Il faut manger ! dit le petit garçon d’un air très raisonnable.
– On trouve toujours de quoi manger, dit la chèvre, et elle avait appuyé très fort sur le mot “toujours”.
– C’est vrai, dit le petit garçon convaincu.
– La pureté ! dit le chamois.
– Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda Petit Lou.
– Toi, dit le chamois. Quelque chose qui te ressemble.
L’enfant fit un effort pour regarder en son dedans, là où le chamois avait l’air de voir quelque chose.
– Ah ! fit-il, comme s’il avait compris.
Il n’avait pas très bien compris, mais il pensa que ce ne devait pas être très important puisqu’on pouvait le prendre, lui chétif, pour symbole.
– La vieillesse ! dit encore le chamois.
Petit Lou sursauta. Il dit :
– Mais Pa n’est pas vieux.
– Il a les cheveux blancs, dit le chamois avec hésitation, car il appréciait mal un âge qui ne se mesurait pas aux anneaux de cornes.
– Avoir envie de tout, dit la chèvre, mais plus besoin de rien ! (p. 14-15)