Jean Proal, une écriture photographique

Jean Proal

Jean Proal, une écriture photographique

Dans la houle des motsUne écriture photographique

Mardi 10 mai 2016 à 18h00

Maison des Métiers du Livre
4 avenue de l’Observatoire
04300 Forcalquier
Tél. 06 88 10 70 63
Libre participation aux frais

Lecture interprétée par Yves Mugler et Anne-Marie Vidal, suivie d’un échange avec le public.

Ce rendez-vous « Dans la houle des mots » est une invitation à plonger dans le regard de Jean Proal, son écriture photographique, qui a su mettre en lumière les êtres, les choses et la nature à la façon d’un photographe, réussissant à en extraire l’essence profonde de vie et de vérité, saisie dans des instantanés.

Cette rencontre se poursuivra le lendemain avec un atelier de dessin ouvert aux enfants et aux adultes qui pourront illustrer les textes de l’auteur. En savoir plus…

écriture photographique

L’image des mots

Jean Proal possède cet œil, ce regard profondément attentif et bienveillant que posent parfois certains photographes sur le monde. Il cadre ce qu’il décrit dans un espace où le temps se dilate pour laisser toute la place à l’observation de l’intime, du détail en gros plan où se concentre l’âme du vivant… Tout a son observation, le poète trace avec une grande exactitude les contours des êtres, des animaux, des choses… qui définissent à leur tour, à grands traits de sensations, leur histoire particulière.
Cette écriture  nous « oblige » gentiment à être à la mesure de ce qui existe au-delà de l’image…

La Camargue (extrait de De sel et de cendre) lu par Yves Mugler

D’un autre côté, la puissance visuelle de Jean Proal est telle, qu’il serait souvent impossible à un photographe de représenter en une image la somme d’émotions que l’auteur charge dans ses écrits en si peu de mots. On pourrait alors penser que l’image animée pourrait y parvenir, en contournant cette difficulté par le mouvement, dans la durée, mais (comme on peut le constater en visionnant Bagarres, adapté au cinéma par André Beucler) il reste une dimension plus profonde qui ne peut être transcrite à l’image avec autant de force et de vérité.

Aube (extrait de Bagarres) lu par Yves Mugler

Jean Proal une écriture photographique

La particularité de cette écriture photographique que possède Jean Proal réside sans doute dans le fait que l’auteur parvient, par une description strictement explicite et simple de l’essentiel, à nous ouvrir le champ de l’implicite pour nous donner à voir et à sentir tout ce qui n’est pas dit, tout ce qui motive, anime, conditionne et résume ses personnages : femmes, hommes, bêtes, nature…
C’est une écriture généreuse et bénéfique, qui fait du bien à l’âme !

écriture photographique

© Hans Hartung

Extraits

Une nuit
L’homme dormait, étendu tout habillé sur son lit ; un grand lit de chêne, seul luxe héréditaire de la chambre ; une chambre de paysan braconnier ; un braconnier de Haute-Provence.
Sur le sol grossièrement carrelé, une flaque de lune tomba, tourna peu à peu, s’agrandit, fit sortir de l’ombre de pauvres objets domestiques, projeta à terre et sur les murs crépis leurs ombres massives, grimpa lentement le long du lit, en dessina les arêtes d’un trait de lumière et, d’un seul coup, la clarté sembla s’abattre sur le dormeur.
Ébloui sous ses paupières fermées l’homme se retourna en grognant puis, dans un sursaut, fut assis, complètement éveillé.
Feu de Dieu, il s’était endormi ! D’un bond il fut à la fenêtre et revint lentement, soulagé. Allons, rien n’était perdu : là-bas, à la pointe vaporeuse du Mourre de Chanier, la lune commençait à peine son ascension. Il assura distraitement sur les reins sa tayole, la large ceinture rouge des hommes de Provence, fit quelques pas vers la porte puis, se ravisant soudain, décrocha son fusil et sortit.
Sur le seuil il s’arrêta. La nuit d’été s’étendait, splendide, sur la montagne. Au ciel nacré, la pleine lune montait, étrangement lointaine et distincte, éteignant les étoiles de son éclat.
Germain Maral se redressa dans un long étirement félin de son corps souple et il sentit, avec l’odeur puissante de la résine, comme une bouffée chaude gonflant sa poitrine élargie, monter en lui la joie obscure d’être libre et fort. […]
Une nuit, Livret n°5

Carmelle
[…] La flamme pâle des peupliers et la fraîcheur de l’eau – ces lames d’eau plus fraîches et dessinées comme des muscles ; le roux somptueux des arbres du vallon et cette tiédeur que l’on surprend à croiser ses cuisses dans la profondeur de l’eau – une tiédeur étrangère et douce comme un cadeau ; le silence souverain – ce silence découpé juste à la mesure de la combe ; et la course chaude du sang au profond de la chair, tout cela chante ensemble et se compose comme des voix d’un chœur lointain.
Accrochée d’un bras au rebord de pierre, la face au ciel, elle se laisse flotter, offerte tout entière, couverte et pénétrée de soleil, une lueur rouge sous les paupières, caressée par les franges de l’eau en mouvement. Elle n’est plus qu’un peu de chair, un peu de sang – une tiédeur – à la surface de l’eau. Elle est silence au fond du silence, éclat de lumière dans le soleil, feuille bercée parmi les feuilles flottantes, un peu d’écume au bord de l’eau – à peine vivante, retournée aux éléments, cœur à peine battant d’un monde qui vient de retrouver la pureté originaire. […]
Bagarres

Lumière
C’est un pays où le roc dessine d’aussi justes vagues que la mer et se hausse, de crête en crête, en de si justes proportions, un élan si retenu qu’il fait penser à la sagesse.
C’est le pays de la pierre calcinée, de l’arbuste réduit à son essence, de l’herbe desséchée, de l’insecte craquant. Le pays où l’implacable lumière a effacé toute ligne qui pouvait être molle, toute surface qui pouvait être tendre.
C’est un pays où lumière ne veut pas dire couleur, où simplicité ne signifie pas pauvreté, où le silence n’est pas le vide, où le dépouillement n’est que subtilité et intérieure richesse.
C’est le pays où la roche vit du même souffle que le ciel, où les plantes et les bêtes ressemblent facilement à des cailloux et où les pierres, sous la changeante et fine lumière, prennent facilement le duvet du fruit mûr.
Un pays sans eau, mais qui ne la regrette pas, tout désaltéré par cette limpidité qui le baigne.
L’Or de vivre in Jean Proal, Anna-Eva Bergman, Hans Hartung, une amitié créatrice

Le chamois
Le chamois porte beau : solidement planté sur des jambes épaisses bottées de sombre et des sabots fourchus qui sont une merveille d’adaptation à l’habitat ; la poitrine profonde et large raccordée sans défaut aux flancs avalés des coureurs de vitesse ; les reins légèrement arqués ; des muscles puissants mais fluides roulant sans heurt sur une charpente solide ; le cou vigoureux, prolongeant sans cassure les lignes puissantes et les surfaces du poitrail et des épaules, doucement infléchi et portant haut la tête harmonieuse ; des yeux d’antilope, de grands yeux de velours sombre pleins de mystère et de naïve douceur, auxquels rien n’échappe ; les narines larges ouvertes des buveurs de vent ; les oreilles bougeuses des bêtes paisibles et craintives; et des cornes dont la courbure est d’une pureté de ligne qui fait rêver.
Tout, dans la bête au repos, concourt à cette impression de royauté, de paisible et majestueux empire sur le domaine familier.
Taillé pour la course, le bond, l’escalade, le chamois conserve au repos cet élan dont on sent bien qu’il peut l’emporter à tout instant. […]
Chasse en montagne, Livret n°8

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