
12 Sep André Beucler et Jean Proal
André Beucler et Jean Proal
Les 12 et 13 septembre 2015
Maison des Métiers du Livre
4 avenue de l’Observatoire
04300 Forcalquier
Tél. 06 88 10 70 63
Avec lectures et Exposition de kakémonos, d’ouvrages, de documents durant les 2 jours
C’est comme “un retour” que nous proposons
En mars avril 2015, Jean Proal parmi d’autres écrivains fut présent aux rencontres de l’association André Beucler en Franche-Comté.
Programme :
Samedi 12 septembre
- 10h00 : Assemblée Générale
- 12h15 : Repas partagé (sur réservation au 06 88 10 70 63)
- 15h00 : Lectures et causerie avec textes de Jean Proal et de André Beucler dont des échos sur le film Bagarres
- 18h00 : Projection du film Bagarres de Henri Calef, avec Maria Casarès, Mouloudji… en avant-première dans sa version remasterisée en 4K, au cinéma Le Bourguet à Forcalquier.
Dimanche 13 septembre
- 10h00 – 13h00 : Matinée lectures, causerie avec échanges sur les 2 auteurs
Biographie d’André Beucler

Maison familiale de Bondeval vers 1925 © A. Beucler
André Beucler est né en 1898 à Saint-Pétersbourg d’un père franc-comtois, professeur de français à l’école des Cadets et d’une mère russe. Il fit toutes ses études comme interne aux lycées de Belfort puis de Besançon où il eût comme professeur Albert Thibaudet qui lui donna le goût de la littérature. Mobilisé de 1917 à 1920, il participa sur le front aux campagnes de la Somme. En 1925, il publie son premier roman, La Ville anonyme, aux éditions Gallimard. Il rencontre là toute une génération d’écrivains avec lesquels il se lie d’amitié dont Joseph Kessel, Léon Paul Fargue, André Malraux, Jean Prévost, Paul Valéry, Paul Morand et bien d’autres.

André Beucler et Léon Paul Fargue à la terrasse Lipp © A. Beucler
Au début des années 30, il part à Berlin comme scénariste et voyage en Europe centrale comme grand reporter pour Marianne, Paris-Soir, l’Intransigeant. Il prévient notamment de la montée du nazisme et du réarmement allemand. Pendant cette période il signera sept films comme dialoguiste et/ou réalisateur, malheureusement ces films ont disparu pendant la seconde guerre mondiale. Il divorce avec Natacha. Il traduit des romans de jeunes auteurs russes et écrit des essais. En 1937, son roman Gueule d’Amour paru en 1926, est adapté au cinéma par Jean Grémillon avec Jean Gabin et Mireille Balin. En 1939, André Beucler publie La Fleur qui chante avant que Jean Giraudoux l’appelle comme chargé de mission au Haut-Commissariat à l’Information.

André Beucler vers 1955 © A. Beucler
Pendant la seconde Guerre mondiale, il s’installe à Cannes avec Natacha où il crée une cellule d’hébergement clandestin. Il produit de nombreuses émissions de divertissement sur Radio Monte-Carlo et en 1944 remet en service le poste de Radio-Nice avec Albert Riéra et Paul Gilson. Après la guerre, il ré-épouse une deuxième fois Natacha et devient à Paris producteur de nombreuses émissions sur les trois chaînes de radio nationales dont Le Bureau de Poésie, consacré aux jeunes poètes méconnus, qui dura 25 ans. Il publie encore quatre romans et divorce de Natacha. Dans les années 1970, il se retire définitivement à Cannes avec Natacha qu’il ré-épouse pour la troisième fois et commence à rassembler ses souvenirs littéraires dans lesquels il évoque ses rencontres avec ses amis écrivains, peintres et musiciens. Ils seront publiés en 1980 et 1981 sous le titre De Saint-Pétersbourg à Saint-Germain-des-Prés et Plaisirs de Mémoire. André Beucler s’éteint en 1985 dans les bras de Natacha devant la Baie des Anges dans leur appartement de Nice.
Textes d’André Beucler
Souvenirs de la campagne comtoise
Mes souvenirs, pour peu que je m’y abandonne du meilleur de l’âme, me conduisent inévitablement en pays comtois. Ce qu’il y a de plus dur et de plus solide dans ma mémoire appartient à un arrondissement particulier, à un canton, pour moi reconnaissable entre mille, à un village unique au monde d’où l’on aperçoit par temps clair le château de Montbéliard. J’ai encore dans les oreilles des bruits de faux, des aboiements de chiens, des grincements de portes et de roues, des claquements de fouet et des coups de hache qui, loin de m’égarer dans l’incertitude, me rappellent au contraire des moments précis de mon enfance et de ma jeunesse. […] Images, odeurs, cris, assertions brusques ou réminiscences vagues évoquent toujours des lieux déterminés, des paysages catégoriques, des êtres qui ne laissent aucun doute. Le Doubs, et spécialement entre Valentigney et Mandeure ; une route blanche, mal entretenue, interminable, et spécialement le fragment de cette route qui descend de Bondeval à Audincourt ; un facteur, et spécialement celui qui venait de Seloncourt et qui descendait de bicyclette au moment d’aborder la côte, toujours à la même place, ce facteur qui n’avait pas son pareil pour dénicher des corbeaux, lancer des pierres et parler aux filles du village. Il y a vingt ans, ce fonctionnaire représentait pour moi l’aventure ; les lettres qu’il devait m’apporter, car j’en attendais toujours, pouvaient avoir à l’époque, une influence définitive sur ma vie. Or il n’eut à m’offrir des semaines entières et des années que le courrier de mon père et des catalogues. En revanche, il avait à nous proposer des œufs, des champignons ou des saucisses. Ce brave homme aujourd’hui disparu qui jadis personnifiait pour moi l’avenir, est devenu peu à peu le symbole d’un village paisible, bien décidé à ne pas s’agrandir, où je le cherche involontairement à chacun de mes séjours dans le pays de Montbéliard. Car rien n’a changé malgré le temps. Je vois bien, il est vrai, d’après les affiches, que des professeurs de danse et de boxe sont venus s’établir dans la région. Il y a des communistes là où on ne trouvait que des socialistes. Les paysannes portent des cheveux courts et vont jusqu’à se poudrer les joues le dimanche. Mais leurs coiffures ne sont pas réussies et la poudre qu’elles emploient est d’une qualité détestable. En réalité, elles sont pareilles à leurs mères et demeurent fidèles à des traditions sur lesquelles le temps n’a pas de prise. […] Plus que tout autre, le paysan comtois est tout d’une pièce, non pas seulement avec sa maison et cet univers qui l’environne : le banc, le fumier, les outils, le chien dans sa niche et le coq à la chair trop dure, mais avec son village, car il a peu de sympathie pour le village voisin, avec son canton, car il ne met pas volontiers les pieds dans le canton voisin. Paysages austères et charmants, usines et plateaux, santé des Montbéliardais protestants et têtus, rivière sinueuse qui a reçu la visite de l’histoire, paysans spirituels, plats régionaux, l’école, le lycée, les vacances, tout cela n’est pas seulement pour moi un passé, mais un roman.
André Beucler (mai 1923) Extraits du Texte paru dans Franche-Comté Monts du Jura.
Début du Carnet de rêves d’André Beucler
J’ai l’habitude d’écrire sur un carnet tout ce que je vois en rêve. C’est une petite comptabilité matinale dont je m’acquitte avec un plaisir d’autant plus grand que ma mémoire nocturne est moins fidèle. Il y a des rêves si longs qu’il me faut plusieurs nuits de sommeil pour en venir à bout; il y en a de si courts et de si achevés que l’on est obligé de les interpréter au réveil en y mettant une telle obstination mentale qu’ils font partie de deux milieux : le diurne et le nocturne. Plus tard, quand il m’arrive de feuilleter mon carnet pour m’émerveiller avant d’éteindre la lumière et me préparer à comprendre tout ce qui arrivera sous mes paupières, je ne distingue plus les vrais des impurs, ceux qui sont venus je ne sais comment de ceux que j’ai inventés pour me séduire. Les derniers finissent toujours par des mariages et je n’y cours aucun danger ; ceux de la nuit sont moins tendres, et je m’y vois dans des situations dont je ne serais jamais sorti à l’état de veille. Mais depuis que je les mets bout à bout et qu’ils se trouvent à portée de ma main dans le tiroir de la table de nuit, je méprise moins ma destinée, je la compare à celle des héros dont j’ai lu les exploits, je fais des connaissances que j’invite à partager une existence intermédiaire que nous vivons ensemble avec toutes sortes de trucs, car le monde de tout le monde nous étonne jusqu’au retour de l’autre. Univers confortable et poétique où les histoires deviennent vraies à mesure qu’on se les recommence avec une complaisance chaque jour plus adroite. Rêver, c’est être content de son sort, c’est chercher pour soi le petit endroit mental où se trouve la volupté, c’est crever le papier mince qui recouvre le monde- et se domicilier dans les coulisses, là où se font les roues, la vitesse, le soleil, les étoiles, l’arc-en-ciel, les voyages, les révolutions et tous les miracles qu’on explique dans les livres, depuis qu’il y a des livres. Quand mes rêves sont longs ou qu’ils me plaisent et que je répugne à les conserver comme des oiseaux en cage, je les écris sous la forme de lettres et je leur rends la liberté dans une enveloppe. Mon plus grand désir est qu’ils soient rêvés par d’autres, mais on ne me les retourne jamais.
LES FEMMES
Un jour, nous atteignîmes ensemble notre palier. Je l’avais imaginée autrement qu’elle n’était. Elle ne se retourna pas. Elle se balançait sur elle-même. J’oubliai de la désirer. Étonné et ridicule, à la recherche d’une contenance inutile, je la bousculai un peu, m’excusai et, rentrai chez moi. J’aime les filles comme des bibelots ou des parfums, leur nonchalance où il entre un certain snobisme, et cet abattement désabusé auquel je trouve du charme. Toutes les filles semblent mûre; le besoin de fasciner les fascine, le fard derrière lequel elles vivent nuit et jour, les pénètre, entre dans leur peau, se dépose au fond d’elles et rend leur vie intérieure empâtée. Elles sont autoritaires, un peu méchantes et pas fières pour un sou. Elles savent téléphoner, jouer aux courses, ont des prérogatives et certaines idées fixes parfois drôles, qu’on ne leur ôtera jamais. Il y a en elles du fait divers et une certaine littérature un peu mesquine qui sent le meublé. Entrée de Désordre P 89
GARES
Les voies étaient nettes, brillantes et calmes. Au bout du hall ouvert sur la nuit, des locomotives entraient dans le ciel déchiré et sonore, et la lune jaune empilait des jetons. Souvent, un bruit clair tombait sur les rails et courait le long du métal jusqu’aux villes mystérieuses annoncées par les signaux et perdues dans le tumulte électrique. L’œil fatigué d’attendre cherchait un mot d’amour sur les panneaux, des images dans l’heure, la place des sons de cloches et des coups de sifflets dans l’air torréfié. Le cœur espérait. A chaque instant, une rumeur à voix de grêle tourbillonnait dans la cage de verre où toutes les vitesses, tous les pays couchés sous le soleil, tous les lacs aux corps de femmes, toutes les plages arrondies comme des gestes, tous les rêves, toutes les fortunes, tous les suicides et tous les océans commencent par des chiffres sur du papier. Au loin, dans la distance sombre aux horizons arrachés de leurs socles, les rapides se jetaient dans l’itinéraire des étoiles filantes et crachaient des monstres de fumée qui grimaçaient dans le ciel comme des méduses.
Gueule d’amour (extrait)
J’ai l’habitude de passer mes vacances dans un petit village de soixante maisons dont tous les habitants se connaissent. Pour y arriver avec des bagages, il faut faire six heures de rapide dans la nuit et quatre heures d’omnibus à travers un paysage où les gares vivent sans personnel et tintent de plaisir au passage des wagons. Quelques draps et des serviettes de table sèchent le long d’une haie de sapins bleus ou noirs et des poules se promènent à contrevoie. On voudrait se lever, se pencher en dehors malgré l’interdiction, demander à quelqu’un s’il y a un buffet. Mais les compartiments sont si bas de plafond que l’on ne peut s’y tenir debout, et si vieux qu’ils donnent l’impression d’un voyage rétrospectif dans un siècle que le chemin de fer retrouve dans l’espace en retournant lui-même à l’époque de sa découverte. Il faut faire enfin six kilomètres à pied. J’ai aussi l’habitude de prendre mes vacances en automne, quand les deux routes qui se croisent à la hauteur de l’église sont couvertes de feuilles pourpres, dorées ou violettes comme des papillons morts et que les jardins brûlent, autour des maisons qui se recueillent pour la vie intérieure, les derniers parfums de la saison. Le ciel est d’un bleu doux, sincère ; l’eau des mares se refroidit dans une corbeille d’herbes jaunes que le vent plie. Les paysans ont rentré le bois dans les greniers et labouré la terre ; on a cueilli les fruits et renvoyé les enfants à l’école. Les premières fumées donnent le signal d’un long repos, et la lumière de chaque jour est plus courte d’une minute. Alors on se sent plus âgé, plus raisonnable, touché par une sorte de noblesse et moins amoureux de ce qui passe. Je ne fais jamais rien pendant cette période, et mon détachement est si net qu’il m’arrive de ne plus savoir ce qu’il y a de l’autre côté de l’horizon. L’oisiveté dans laquelle je m’installe avec un goût chaque jour plus agréable à ressentir fait de moi plutôt un spectateur qu’un indolent, et je me trouve assez confortable comme endroit de paresse.
Extrait de la chronique de Alexandre Vialatte
IVAN LE TERRIBLE par ANDRÉ BEUCLER
Tsar perdu et tsar retrouvé • Balais et têtes de chien • Massacre des poissons • Vie monacale • Tour du propriétaire • Têtes de brochets et concombres farcis • Bâton de Guignol et crochet à phynances • Rugissements • Puanteur • Monstre brumeux • Prouss • Palais framboise et renard noir • Tiares d’or et bulbes olivâtres • Passeports et épidémies • Soupe populaire • Grandeur consécutive d’Allah. Avez-vous lu Baruch ? demandait La Fontaine. Il voulait qu’on ait Baruch. Je voudrais qu’on lût Ivan le Terrible, de Beucler. Un diplomate du temps des tsars disait que le régime russe était le « despotisme tempéré par l’assassinat ». Avec Ivan l’assassinat ne tempéra rien. Il y eut un jour, en 1565, où la Russie fut sur les routes à la recherche de son tsar. C’était l’hiver. On ne savait où le prendre. L’anarchie grondait dans le pays, au sud les Tartares menaçaient, à l’ouest on parlait d’une coalition européenne. Le tsar, lui, comme le vieux Tolstoï, était parti sur la route russe. Privés de leur tsar, sans Dieu, sans Père, les Russes se sentaient coupables et honteux : ils n’avaient plus personne pour leur couper la tête. On le supplia, on se jeta à ses genoux : une armée d’archevêques, de princes, d’archimandrites, de boyards et de loqueteux. Il pleura, s’arracha la barbe, se présenta comme un persécuté. Il ne consentit à revenir que si la moitié des boyards se laissait couper en morceaux. On lui accorda tout avec attendrissement, et ça finit dans un grand enthousiasme, par des services religieux, des voix de basse, des chœurs folkloriques, des buissons de cierges ardents. Il rentra et lâcha ses hommes ; ils portaient des balais attachés à leur selle, et des têtes de chien coupées, entraient à cheval dans les maisons, brûlaient, rouaient, empalaient et pillaient, violaient tout, sabraient le père, la mère et les enfants, le chien, le chat, les chaises de paille et, quand c’était fini, les poissons du vivier. Pendant ce temps, Ivan réformait les couvents et rédigeait des statuts estimés. De son palais il avait fait un monastère. Toute sa cour dut se mettre en soutane. À 3 heures, on sonnait la cloche : huit jours de prison si on restait au lit. L’office durait jusqu’à 8 heures. Et à 8 heures on recommençait. On chantait, on pleurait, on se frappait la poitrine. Ivan se prosternait si fort qu’il avait le front couvert de bosses. À 10 heures, finalement, on avait le droit de manger, tandis qu’Ivan, dans son zèle inlassable, expédiait encore des Pater. Ce n’étaient plus que vins de Hongrie, d’Alsace, d’Italie, de Bourgogne, purées de rognons de lièvre à l’huile de tournesol, têtes de brochets et concombres farcis. Et ça durait jusqu’à 4 heures. Sur le milieu de la journée, Ivan, occupation éminemment chrétienne, rendait visite aux prisonniers ; malheureusement, ça consistait à féliciter le serrurier et prêter la main au bourreau. C’était le tour du propriétaire. Il en revenait tout rajeuni. On faisait alors venir les femmes. Là, ça dépasse la description. Elles en mouraient de peur ou de honte, et quittaient ces réjouissances avec douze flèches dans le derrière : car il est bon de s’entretenir au tir à l’arc. Un jour Ivan nomma un autre tsar. […]
Alexandre VIALATTE, Chronique parue dans La Montagne, le 3 mai 1955 Site de l’association Alexandre Vialatte : http://www.alexandre-vialatte.com/association_amis_vialatte/