
Jean Proal, un homme discret, une écriture exigeante
Présentation, lecture, échanges
Présentation, lecture, échanges par Anne-Marie Vidal et autres lecteurs des Amis de Jean Proal.
– Organisée par l’association Patrimoine du pays de Forcalquier, un après-midi
– Samedi 5 novembre 2022 à 15 h – Salle Pierre Michel – Forcalquier
L’Invitation par l’association Patrimoine :
En collaboration avec l’association des « Amis de Jean Proal », nous vous invitons à découvrir, à redécouvrir son œuvre au cours d’une présentation, lecture et échanges avec l’aide d’Anne-Marie Vidal.
Jean Proal (1904-1969), contemporain de Jean Giono, « échange épistolaire » publié ; il fut un ami de Hans Hartung et d’Anna-Eva Bergman ; ses deux amours : la montagne et la Camargue.
Son œuvre littéraire est d’une valeur intemporelle. Elle porte les accents d’une vive philosophie du sens de l’existence profonde.
NB : Cette rencontre, outre des lectures, permettra beaucoup d’échanges (notamment des réponses à vos questions) – et selon vos souhaits. Tous les ouvrages publiés par l’association ainsi que les rééditions (depuis 2019) seront disponibles…
TROIS extraits
Je l’attends, appuyé à un chêne, et je sens le long de mon dos le rude toucher de l’écorce. Entre les arbres le ciel est comme un lac où le soleil a laissé une transparence dorée. Le vent du soir s’est levé des fonds et arrive en dansant sur les blés déjà hauts, se pousse entre les arbres, et me souffle au visage son haleine qui sent l’absinthe mâchée. De l’autre côté de la vallée, le plateau de Messiplane est une immense table sombre, lourdement posée sur la terre, dressée pour les dieux de la nuit. Au loin, vers le pont d’Aiguines, le Verdon luit doucement.
Je l’attends, et elle arrive, et mon sang frappe durement dans mon cœur, car je ne savais pas qu’elle était si belle. Elle arrive en courant, silencieuse sur ses sandales de corde, et son pas dansant n’arrache pas une pierre du chemin. Elle rit, d’un rire muet qui est autant le rire de tout son corps que le rire de ses dents ou de ses yeux.
Le même geste, à la même heure. Hier matin, c’est toute la misère du monde – avec le vent, la pluie, le froid – qu’Hélène semblait vouloir exorciser de ses bras tendus pour ouvrir les volets. Aujourd’hui, c’est toute la joie et toute la paix de la terre qu’elle paraît accueillir. Ce mouvement des bras qui livre au soleil levant la chambre de la nuit, c’est aussi un geste qui ouvre le corps et l’âme, les libère et les expose, les lave au souffle d’un monde recommencé.
Pour Hélène, le temps ne compte pas. Elle s’est si bien identifiée à ce pays qui ne vit que de la vie fluide des éléments, ce pays où les mesures humaines n’ont pas de sens, qu’elle vit dans une sorte de présent continu et indistinct. Les souvenirs de son enfance, ceux de sa vie de jeune femme, se mêlent et se confondent. Tout ce qu’elle a fait, tout ce qu’elle est et, peut-être même tout ce qu’elle a lu, vit en elle de sa vie présente comme vivent en même temps, suscités par un geste unique, le morne désespoir de la veille et l’exaltation de cette aube. Elle est en même temps l’un et l’autre.
Les deux volets ont claqué contre la façade – ce bruit qui semble ouvrir le jour sur le courage des hommes – mais Hélène est restée un long moment encore les bras ouverts, comme pour laisser pénétrer plus loin en elle cette promesse qui l’attendait. Elle respire fort, à pleine poitrine, et son souffle fume dans l’air frais. C’était ce miracle qui se préparait au fond de sa nuit. Une fois de plus, une fois encore, avec cette rapidité à quoi personne ne peut s’habituer, son pays venait de renverser ses sortilèges. Après la journée sans espoir de la veille, cette agonie, un jour de commencement du monde se levait sur la Camargue.
HIVER,
On avait beau le voir venir – chaque matin la gelée blanche et ce coupant de l’air et, là-haut, la neige descendue chaque nuit un peu plus bas – on avait beau l’espérer, il nous surprenait toujours. Un matin, la neige était là. La gelée, l’aigu de l’air, les cimes enneigées, ce n’est pas l’hiver : l’hiver c’est le premier réveil sous la neige.
On s’est couché la veille comme tous les soirs, sans un pressentiment. On a dormi d’un sommeil sans ride, comme toutes les nuits. Ce matin-là, c’est le silence qui vous réveille. Et peut-être la qualité changée du jour qui entre dans la chambre.